Les concertos pour piano oubliés d’Aloys Schmitt : première discographique

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Aloys Schmitt (1788-1866) : Concertos pour piano n° 1 en do mineur op. 14 et n° 2 en ré mineur op. 34. Rondeau brillant op. 101. Ulster Orchestra, Howard Shelley, piano et direction. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. 75.49. Hyperion CDA68389.

En guise d’introduction à la notice qu’il signe, l’écrivain et musicien anglais Jeremy Nicholas (°1947) constate que parmi la multitude de compositeurs du XIXe siècle, 90 % se situent en-dessous de ce qu’il appelle « la ligne de flottaison » (il utilise l’image d’un iceberg) : ils sont toujours immergés, puisqu’on s’en souvient à peine ou qu’ils sont totalement oubliés, alors qu’ils avaient connu la notoriété et le succès de leur vivant. La postérité a-t-elle bien fait le tri ? N’a-t-elle pas laissé de grands maîtres dans une ombre injustifiée ? Une collection comme celle que le label Hyperion a initiée sous le titre global « The Romantic Piano Concerto » et qui contient maintes raretés, apporte de la matière à la réflexion. L’album n° 84 de la série propose un éclairage sur trois pages inédites d’un méconnu du disque.

Né à Erlenbach, Aloys Schmitt reçoit des leçons de son père organiste, puis de l’éditeur de musique et compositeur Johann Anton André (1775-1842) à Offenbach-sur-le-Main. A partir de 1806, il se perfectionne à Francfort où il commence à composer. La cité natale de Goethe sera celle de son existence, même s’il effectue un séjour à Munich, à Berlin ou à Hanovre et accomplit des tournées de concert dans toute l’Allemagne, en Hollande et en Belgique. Ami des Mendelssohn, virtuose applaudi, ce professeur renommé, qui comptera Ferdinand Hiller parmi ses élèves, est l’auteur d’une méthode d’enseignement du piano qui connut son temps de célébrité. Le catalogue d’Aloys Schmitt est abondant : quatre opéras, deux oratorios, quatre concertos pour piano, de la musique de chambre et religieuse et un grand nombre de pages pour le clavier. Il demeure néanmoins ignoré par les programmes de concert et par le disque.

Présentés ici en premières gravures mondiales, ses deux premiers concertos pour piano, dont la date de composition est incertaine, sont écrits tous les deux pour une formation qui comprend, en plus de l’instrument soliste et des cordes, une flûte, deux hautbois, deux bassons, deux cors, deux trompettes et des timbales. Le Concerto n°1 en ut mineur révèle de beaux moments mélodiques qui évoquent le souvenir de Beethoven et de Mozart, mais aussi celui de Hummel et de Weber. Le second mouvement, un Adagio con moto quasi andante, présente l’idée séduisante d’insérer un émouvant quatuor à cordes en début de partie, celle-ci étant reprise par le soliste avant nouvelle intervention du quatuor ; l’ensemble, avec de jolies couleurs orchestrales, est d’un esprit mozartien qui va se maintenir au cours d’un final allègre. Le Concerto n° 2 confirme le métier du compositeur, dans un contexte où se côtoient un charme viennois dansant (l’Allegro initial) et une légèreté combinée à un traitement du piano qui apparaît comme plus tourné vers le modèle beethovenien, un Allegro bondissant venant conclure une partition agréable, à l’image de la précédente.

Le programme est complété par le Rondeau brillant de 1839, une page de la maturité du compositeur, avec même effectif, auquel viennent s’ajouter une seconde flûte et deux clarinettes. La notice cite une critique de Robert Schumann qui souligne que l’on y retrouve l’influence de l’école de Hummel, à savoir précision, clarté, écriture fluide, ainsi que l’atmosphère de John Field, la partition étant d’ailleurs présentée comme un souvenir au compositeur irlandais, décédé deux ans auparavant. Mais Schumann se révèle réservé : nous avons largement dépassé ce style de musique « entre-deux » où le compositeur et le virtuose se laissent tour à tour la part belle. Ce Rondeau d’une douzaine de minutes est une page décorative, bien rythmée.

L’auteur de la notice, visiblement conquis, se demande en fin de texte pourquoi Aloys Schmitt n’a pas passé la fameuse barre des dix pour cent de créateurs dont les noms figurent au-dessus de la ligne de flottaison. Nous ne ferons pas écho au point de vue de Jeremy Nicholas : même si l’audition de cet album est plaisante et dévoile une écriture nourrie des leçons de ses prédécesseurs ainsi qu’un solide métier, l’inspiration demeure inégale, expliquant, à notre avis, que le compositeur ait sa place dans la vaste nébuleuse des oubliés de la musique. 

Howard Shelley, un habitué de cette collection Hyperion pour laquelle il a enregistré maints albums, est au clavier et à la tête de l’Ulster Orchestra. Malgré leurs qualités, le chef et les instrumentistes n’arrivent pas à nous convaincre que ces pages pour piano et orchestre sont de première valeur. Le présent album, dont on saluera néanmoins l’existence, est plutôt à écouter avec curiosité. 

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 7  Interprétation : 8

Jean Lacroix    

 

 

 

     

 

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