Les cordes sont l’âme profonde de Pēteris Vasks
Pēteris Vasks (°1946) : Viatore, arrangement pour 11 cordes par Stefan Vanselow ; Concerto pour violon et cordes « Lumière lointaine» ; Symphonie n° 1 pour cordes « Voix ». Stanko Madić, violon ; Münchner Rundfunkorchester, direction Ivan Repušić. 2020. Notice en allemand et en anglais. 71.20. BR Klassik 900334.
Voici en peu de temps, dans les colonnes de Crescendo, une troisième version du Concerto pour violon « Lumière lointaine » (traduction de l’original en finlandais) de Vasks, après celle de Vadim Gluzman et de l’Orchestre symphonique de la Radio finlandaise mené par Hannu Lintu (BIS-2352, Joker Millésime 2020), et celle de Daniel Rowland, qui était à l’archet et à la direction du Stift Festival Orchestra, à un moment où Vasks y était en résidence en 2019 (Challenge Classics CC72830). Cette fois, c’est le label BR Klassik qui en propose une nouvelle lecture. Nous renvoyons le lecteur à l’article d’Olivier Vrins du 20 juillet de l’an dernier pour l’enregistrement BIS et à notre texte du 25 octobre pour la deuxième référence. Nous avions alors conclu que l’interprétation de Daniel Rowland n’atteint pas la même intensité viscérale que celle de Vadim Gluzman, qui alliait la puissance à un lyrisme éthéré, dans un contexte de complicité totale avec Hannu Lintu. Qu’en est-il de la présente et nouvelle gravure, enregistrée en studio à Munich fin juin 2020 ?
Rappelons que cette partition, créée au Festival de Salzbourg le 10 août 1997 par Gidon Kremer pour laquelle elle a été composée, se compose de cinq mouvements, dont trois cadences, et se joue d’un seul tenant, sans interruption. Le soliste règne en maître dans cette grande arche qui s’ouvre et se conclut par un Andante, dans un climat émotionnel intense, une sensation distillée de mystère et de spiritualité tendue et virtuose, avec des moments dramatiques, plaintifs ou mélancoliques. Le sous-titre caractérise bien une œuvre à l’essence immatérielle, dont les épisodes furtifs et pleins de ferveur ouvrent sur un horizon à la clarté harmonique qui touche profondément l’auditeur. Ce concerto est l’une des pages les plus fortes de notre temps ; il mérite largement l’intérêt que les violonistes lui accordent. Comme pour les deux versions citées plus avant, BR Klassik propose les huit mouvements en plages séparées, ce qui permet de mieux appréhender l’évolution du propos. Une constatation s’impose : Stanko Madić adopte un tempo un peu plus enlevé que Gluzman et Rowland, en particulier dans les deux Andante, ce qui entraîne une durée globale inférieure aux deux autres interprètes : 29.29 en ce qui le concerne, 31.07 pour Rowland, 33.11 pour Gluzman. Stanko Madić, qui est premier violon solo du Münchner Rundfunkorchester, fait corps avec la phalange de manière presque épidermique. La dimension tragique et la tension, dans un univers en suspension, sont très palpables dans un élan poignant qui sait être rageur, mais qui se révèle un peu moins poétique et, sur le long terme de la partition, moins chantant que chez Gluzman/Lintu. Quoi qu’il en soit, les deux gravures séduisent, dans leurs options en fin de compte complémentaires, mais cet enregistrement BIS conservera à nos yeux une légère préférence première, la luminosité élégiaque, véritable délectation, du Stradivarius ex-Auer de 1690 utilisé par Vadim Gluzman se révélant déterminante.
Pour ceux qui hésiteraient, les compléments pourraient peut-être devenir un élément de décision quant au choix d’une version. La version de Gluzman/Lintu (BIS) est accompagnée par les Summer Dances pour deux violons et par le Quatuor avec piano de 2010. Le présent album BR Klassik propose, avant le concerto, Viatore pour orchestre à cordes (2001), dans un arrangement pour onze cordes dû au chef d’orchestre et musicien d’église Stefan Vanselow (°1980). Vasks a composé cette partition en hommage à Arvo Pärt. Elle traite du thème de la condition humaine et de la solitude et est symbolisée, un peu à la manière de Schubert, par la notion du Wanderer dont on évoque le parcours : naissance, enfance et jeunesse, premier amour, chemin de vie personnel et disparition. En une seule coulée de seize minutes, le compositeur dessine le paysage intérieur d’une existence, à partir d’un Andante qui s’amplifie peu à peu et se développe jusqu’au fortissimo, dans un contexte expressif, avant de se dissoudre dans un retour au pianissimo. Le lien avec l’inéluctabilité de la destinée est évident.
Après le concerto, l’album se conclut par la symphonie pour cordes Voix, créée en 1991. Le début de l’écriture de cette œuvre emblématique correspond au moment où les citoyens des pays baltes se révoltaient contre les chars soviétiques. Ici, la texture des cordes, proche elle aussi de l’univers d’Arvo Pärt, fait allusion tour à tour, au fil des trois mouvements, au silence, à la vie et à la conscience, à travers des évocations nerveuses ou lumineuses de la nature, au cœur de mélodies graves ou jaillissantes, qui prennent souvent l’auditeur à la gorge, tant la charge émotionnelle est intense, voire insupportable. L’audition est très éprouvante sur le plan sensible, car elle s’adresse au plus profond de l’intimité de l’auditeur, dans un espace-temps en suspension. L’interprétation en est superlative. On soulignera l’investissement, tout au long des trois partitions, de l’Orchestre de la Radio de Munich et de son chef Ivan Repušić.
Une suggestion : pourquoi ne pas conserver dans sa discothèque les versions BIS et BR Klassik ? Le Concerto pour violon mérite bien cette double présence…
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix