Le violon de Peteris Vasks, une nourriture pour l’âme

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Pēteris Vasks (°1946) : Concerto pour violon et orchestre « Distant Light » ; « Lonely Angel », méditation pour violon et cordes ; Plainscapes, pour choeur mixte, violon et violoncelle ; Dona nobis pacem, pour chœur mixte et cordes. Daniel Rowland, violon ; Maja Bogdanovic, violoncelle ; Stift Festival Orchestra, Consensus Vocalis, direction Daniel Rowland, Thomas Carroll et Benjamin Goodson. 2019. Livret en anglais. 71.56. Challenge Classics CC72830.

« De nos jours, beaucoup de gens n’ont plus de croyances, d’amour et d’idéaux. La dimension spirituelle a été perdue. Mon intention est de fournir de la nourriture pour l’âme et c’est ce que je prône dans mes œuvres. » Cette profession de foi de Pēteris Vasks figure en tête de la notice du livret, signée par Daniel Rowland, le soliste et le chef du Concerto pour violon « Distant Light ». Composé pour Gidon Kremer qui le créa au Festival de Salzbourg le 10 août 1997 avec la Kremerata Baltica conduite par Saulius Sondeckis, ce concerto a déjà été bien servi au disque : Kremer lui-même (Teldec), Renaud Capuçon (Erato), Alina Pogotskina (Wergo), Anthony Marwood (Hypérion)… Daniel Rowland, né à Londres, a grandi aux Pays-Bas où il a étudié notamment avec Herman Krebbers et Igor Oïstrakh, avant de recevoir à Paris des leçons d’Ivry Gitlis avec lequel il a ensuite collaboré. Il propose une nouvelle version du concerto en dirigeant lui-même, option déjà choisie par d’autres solistes. En 2019, Pēteris Vasks a accepté d’être compositeur en résidence au 15e Stift Festival, en Hollande et plusieurs de ses partitions y ont été jouées, musique de chambre ou orchestrale. Le label Challenge Classics propose ici le concert en sa présence, le 24 août, dans la St. Plechelmusbasiliek à Oldenzaal. 

En juillet dernier, Olivier Vrins présentait dans ces colonnes la version, qu’il qualifiait de sublime, de ce concerto pour violon par Vadim Gluzman avec l’Orchestre Symphonique de la Radio finlandaise dirigé par Hannu Lintu (SACD BIS-2352). Nous partageons cet avis au plus haut point. Olivier Vrins écrivait au sujet de Distant Light (traduction anglaise du titre original finlandais) : Œuvre d’une seule coulée, le concerto se compose de cinq épisodes reliés par trois cadences. Ces huit « mouvements » (…) s’enchaînent sans interruption. Le soliste, que ne détrônent que quelques tutti orchestraux acérés, s’y taille la part du lion. La musique populaire lettone résonne en filigrane de ce concerto comme dans de nombreuses autres œuvres de Vasks. Cette partition, qui émerge peu à peu du silence (elle s’ouvre et s’achève par un Andante), provoque un impact émotionnel engendré par la part de mystère qui s’en dégage et par une spiritualité faite de virtuosité et de tension, nourrie par des épisodes dramatiques, plaintifs ou mélancoliques. Elle correspond bien à l’intention de Vasks de « fournir de la nourriture pour l’âme ». On est subjugué par une atmosphère qui fait la part belle au furtif, au chaotique, à l’harmonie, mais aussi à la clarté. A n’en pas douter, il s’agit d’une partition forte de notre temps, dont la dimension immatérielle est profonde. Comme pour la version Gluzman, l’éditeur a eu la bonne idée de scinder les huit mouvements en plages séparées, ce qui permet de mieux appréhender les cadences et les Cantabile qui se développent. L’interprétation de Daniel Rowland n’atteint pas, selon nous, la même intensité viscérale que celle de Vadim Guzman qui alliait la puissance à un lyrisme éthéré dans un contexte de complicité totale, avec Hannu Lintu dirigeant la formation de la Radio finlandaise avec un grand souci de discrète ferveur. C’est peut-être là que le bât blesse. Est-ce l’effet du double rôle endossé par Daniel Rowland, soliste qui se déclare fasciné par la musique de Vasks, et chef d’orchestre, moins porteur d’une clarté globale ? Sans doute, mais l’acoustique du vaste édifice du XIIIe siècle où se déroule le concert ne le sert pas non plus. Elle brouille parfois les plans sonores, provoquant de la confusion, notamment dans les passages les plus aigus. La version Guzman/LIntu demeure prioritaire, y compris sur le plan technique.

Le couplage, tout à fait différent du SACD BIS, intéressera cependant les passionnés de l’œuvre de Vasks malgré ces réserves. La méditation pour violon et cordes Lonely Angel, second concerto lui aussi dédié à Gidon Kremer, a été complété dix ans après Distant Light ; il s’inscrit dans une ligne rêveuse, hautement méditative et extatique. Cette page d’un peu plus de treize minutes évoque le regard affligé que l’Ange porte sur le monde, qu’il réconforte du frôlement de son aile. Ce mystérieux paysage sonore qui relève de la mystique se déploie à travers une mélodie, douloureuse puis lumineuse, qui suit le parcours de l’Ange. Son chant n’est interrompu qu’à deux reprises par les cordes, le soliste se lançant dans des arpèges d’une densité consolatrice qui permet le retour apaisé de l’Ange dans son monde éternel. Daniel Rowland en donne une vision convaincante et touchante, servie avec délicatesse par les cordes du Stift Festival Orchestra, dirigées par Thomas Carroll, professeur de violoncelle à Cologne. 

Deux autres partitions complètent le concert. Plainscapes (2002) s’inspire de la nature et des paysages lettons dans une sérénité partagée entre le violon de Daniel Rowland, le violoncelle de Maja Bogdanovic et un chœur mixte, parfois à la limite du murmure, avec des évocations de chants d’oiseaux, pour une aventure sensorielle qui baigne dans la transparence et la poésie champêtre. La dernière œuvre du programme, Dona nobis pacem, pour chœur mixte et cordes (conduites par Benjamin Goodson, comme Plainscapes), date de 1996. Le climat en est entièrement extatique et célèbre l’amour à la manière d’un cérémonial qui se développe à partir d’un pianissimo pour aboutir à un accomplissement radieux. La dimension mystique est très présente. Dans ces deux pages, le Consensus Vocalis est tout à fait en communion avec les propos du compositeur. 

Malgré les quelques réserves quant à l’interprétation du Concerto pour violon, il n’est reste pas moins que le concert a été construit avec une volonté de cohérence et de complémentarité des climats sonores, et qu’il mérite l’attention des mélomanes séduits par l’inspiration du compositeur. C’est un témoignage de la production si attachante de Pēteris Vasks. Dans le livret, deux photographies le montrent à l’occasion de l’événement : la sérénité et, osons le mot, la lumière qui se dégage de son visage sont à l’égal de sa philosophie musicale, porteuse d’espérance. La dernière phrase du livret le confirme : Il y a des forces obscures dans le monde, mais l’amour l’emporte toujours.

Son : 7,5  Livret : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 8

Jean Lacroix

 

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