Polish Heroines of Music :  le manifeste de la musique vivante par l’Orchestre Pasdeloup et Marzena Diakun

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Polish Heroines of Music. Elżbieta Sikora (née en 1942) :  Sonosphère V, Wanda LandowskaHanna Kulenty (née en 1961) :  Aisthetikos ; Gražyna Bacewicz (1909-1969) : Contradizione  ;  Agata Zubel (née en 1978) :  In the Shade of an Unshed Tear. Misja Fitzgerald Michel, guitare ; Magdalena Duś, piano ; Bartłomiej Duś, saxophone. Orchestre Pasdeloup, Marzena Diakun, direction. 2019 et 2020. Livret en français, anglais et polonais.  63’54’’.  1 CD Anaklasis. ANA 014. 

Que voici ? On nous parle enfin des héroïnes, et en plus polonaises ! Finie l’emprise de Frédéric Chopin à fleur de peau et de son Étude révolutionnaire qui illustre souvent tout ce que nous connaissons de la Pologne (si nous laissons de côté sa politique actuelle peu féministe). Voici en une soixantaine de minutes le compte rendu de la réalité : la création est vivante, les quatre compositrices du disque ont des choses à nous dire et l’Orchestre Pasdeloup présidé par Marianne Rivière est prêt à incarner leur porte-parole. Mais commençons par le commencement.

Se déploie, à partir d’un piano gratté, jeté, sifflé, une Sonosphère V d’Elżbieta Sikora, dédiée à la claveciniste légendaire Wanda Landowska. Son clavecin est supplanté par la guitare électronique de Misja Fitzgerald Michel et la pièce se développe dans un halo de sonorités à la Jimi Hendrix. Sur le papier, on dirait une tentative de Woodstock à la Philharmonie de Paris. Tout de même, le rendu final de l’œuvre ressemble à un « métal précieux » (selon Sikora) qui n’hésite pas à flirter avec le bois des cordes. Mais pourquoi mêler Landowska à cette fiesta ? Faisant partie d’un cycle de compositions-sonosphères en lien avec des lieux, des situations et des personnes concrètes, cette pièce énergique rend surtout hommage à l’innovation et à la modernité sonore de Landowska. Intégrant des bribes de citations, notamment de J. S. Bach (son répertoire de prédilection) ou encore de R. Strauss, la pièce est loin d’être nostalgique. Jouant seule, avec ou contre l’orchestre, la guitare électrique apporte une nouvelle touche à une formation traditionnelle, notamment par la technique du grattage (imité même par les cuivres) qui devient comme une amplification ou un dépassement des limites des instruments à cordes. Adaptant également un solo de guitare, qu’on pourrait qualifier d’un emprunt à une « cadence de concerto », la Sonosphère montre toute la subtilité de Sikora qui donne suffisamment de matière pour que chaque musicien trouve son compte dans cette œuvre explosive.

Rhapsodique, Aisthetikos d’Hanna Kulenty joue un cache-cache avec nos attentes. S’installant dès le début dans un univers sombrement élégant, brumeux, nostalgique et rappelant en quelque sorte l’envolé des phrases à la Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud, le duo de Magdalena Duś (piano) et de Bartłomiej Duś (saxophone) est dissipé en y rajoutant un motif de contre-chant actif chez les cordes. Exploité par tout l’orchestre, il devient presqu’un énoncé de toccata, constamment interrompue par le retour infini vers le côté rhapsodique. Les sons cristallins des cordes rendus possible par la prise de son d’Alix Ewald permet de varier le résultat de cette expérience sonore qui vire dans la deuxième partie de l’œuvre à une nuit de sabbat perturbée par le retour du poétique.

Les deux Contradizione (1966) de Gražyna Bacewicz, issue d’une famille musicienne polono-lituanienne, proposent deux atmosphères (Grave et Acuto) qui s’implantent dans une ambiance nébuleuse. L’utilisation des instruments comme la harpe et un célesta y joue certainement un rôle mais Bacewicz vise beaucoup plus loin et produit, grâce aux divisi des pupitres, une ambiance de nuit glaciale qui crée des mirages sonores. Les contradictions viennent certainement de l’opposition de différentes techniques instrumentales. Les instruments à cordes sont complètement au service de la compositrice et les effets crées par les modes de jeu ne sont jamais vides ou dépourvus de sens.

L’attaque de la timbalière Marie-Madeleine Landrieu ouvre la dernière œuvre du disque. In the Shade of an Unshed Tear (Ombre d’une larme non versée) d’Agata Zubel propose un espace sonore construit de moments rythmiques bien perceptibles et de touches isolées. Spectaculaire par son côté de fuite persistante qui ne laisse pas s’arrêter plus longuement sur une ambiance plus installée comme dans le cas de Kulenty, l’œuvre de Zubel se déguste dans ses mille et un détails.

Dans sa globalité, Polish Heroines of Music est un disque dans lequel la précision d’interprétation ne laisse jamais retomber notre esprit alerte. Les différents pupitres de l’Orchestre Pasdeloup interviennent avec des touches pointillistes grâce à un dosage parfaitement équilibré de la cheffe Marzena Diakun qui s’illustre avec ce disque comme une référence à retenir de la musique contemporaine (et pas seulement !). Épaulé par la prise de son d’Alix Ewald qui ne laisse jamais perdre de l’oreille les différents effets éparpillés, l’Orchestre Pasdeloup présente un disque qui sans pompe, sans dithyrambe, sans fausses prophéties quant à la fin de la misogynie dans la musique, présente des pièces et une équipe d’une qualité artistique remarquable et peu commune.

Initialement prévu comme le plat de résistance d’un projet entamé par l’Orchestre Pasdeloup aux côtés de l’Institut Adam Mickiewicz et des éditions PWM pour la mise en lumière des compositrices femmes polonaises des xxème et xxième siècles, la réussite de ce disque engage en quelque sorte l’Orchestre Pasdeloup à continuer ce travail qui pourrait amener l’orchestre très loin alors que celui-ci fête cette année ses 160 ans.

Son : 10 - Notice : 9 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10

Gabriele Slizyte

 

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