Les deux premières symphonies sacrées de Pawel Łukaszewski

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Paweł Łukaszewski (°1968) : Symphonies n° 1 pour soprano, mezzo-soprano, baryton, chœur mixte et orchestre « Symphonie de la Providence », et n° 2 pour soprano, deux pianos, chœur et orchestre « Festinemus amare homines ». Anna Mikołajczyk-Niewiedział, soprano ; Agnieszka Rehlis, mezzo-soprano ; Jaroslaw Brek, baryton ; Duo de Piano Ravel ; Chœur de la Radio polonaise de Cracovie ; Chœur et Orchestre de l’Opéra et de la Philharmonie de Podlachie, direction Marcin Nałęcz-Niesiołowski et Piotr Borkowski. 2007 et 2009. Notice en polonais et en anglais. Textes chantés en polonais et en latin, avec traduction anglaise. 69’ 08’’. Dux 1844. 

Ce n’est pas la première fois que nous nous penchons sur la musique sacrée du Polonais Pawel Łukaszewski, majoritaire dans l’abondante production de ce créateur dont le label Dux s’est fait un propagateur, mais que l’on retrouve aussi dans des programmes variés chez Ondine, Acte Préalable, Erato ou Chandos. Nous avons présenté, le 13 mai 2022, d’autres symphonies sacrées (les n° 3 et 6) de ce fils et frère de compositeur, né à Czestochowa, qui est aussi chef d’orchestre et pédagogue et s’inscrit dans la ligne successorale de Henryk Górecki. Son langage musical est résolument ancré dans la continuité de la tradition néoclassique et se détourne de l’avant-gardisme. Ses œuvres connaissent un grand succès, tout particulièrement dans son pays natal.

Le présent programme réunit les deux premières symphonies de Łukaszewski, dans des enregistrements réalisés en 2009 à Bialystok, chef-lieu de la voïvodie de Podlachie, au nord-est de la Pologne, pour la Première, et en 2007, à l’Académie Chopin de Varsovie, où le compositeur a fait ses études de violoncelle et de composition, pour la Deuxième. Cette dernière, avec les mêmes interprètes, a déjà fait l’objet d’un album Dux paru en 2012, où elle voisinait avec d’autres pages, notamment Gaudium et Spes, le mouvement initial de la Symphonie n° 1, premier volume d’une série intitulée « Musica sacra ». Sans doute animé par un souci de cohérence, Dux a entrepris une autre série, « Symphoniæ sacræ », réunissant ainsi les deux partitions symphoniques, qui ont la particularité, comme les autres du compositeur, de faire une large place aux voix solistes et aux chœurs.

Ecrite en plusieurs fois entre 1997 et 2008, la vaste Symphonie n° 1 « de la Providence », est construite en quatre mouvements, dont les deux derniers sont annoncés comme une première mondiale au disque. La copieuse notice explique en long et en large la démarche du musicien, qui veut mettre en évidence la protection du Dieu Tout-Puissant sur le monde et sur son peuple. Le tout débute par l’affirmation Gaudium et Spes, destinée à une soprano, à un chœur mixte et à l’orchestre. Le texte émane d’un document émis par le Concile Vatican II. Le caractère cérémonial de cette introduction, fortement cuivrée, avec cloches et glockenspiel, et voix à l’unisson, crée un climat convaincant de joie et d’espoir. On entend aussi la soprano, en solo éperdu ou contemplatif, accompagnée par le chœur en chant à bouche fermée ou par les cordes. Un Alleluia triomphal conclut cette grandiose dizaine de minutes. Une foi profonde anime tout cela ; elle se manifeste encore dans l’Exsultet par un extrait de la Vigie pascale, dans l’attente du Christ ressuscité. Ici règne la prière, dans un tempo recueilli, traversé par des effets sereins de cloches, un solo lyrique de cor et de poignantes interventions de la soprano et de la mezzo-soprano et des chœurs. Un autre moment de recueillement est dévolu à Terra nova et cælum novum, troisième partie pour chœur mixte et cordes qui, ici insérée, a été d’abord une commande pour le 60e anniversaire de l’Union des Compositeurs polonais en 2007. La matière narrative est tirée d’une vision de l’Apocalypse de Saint-Jean, qui installe des effets de lumière, sinon de vitrail, empreints d’une émotion chaleureuse qui emmène l’auditeur dans un registre immatériel, proche de l’extase. Des fragments de trois textes nourrissent le vaste final Et expecto resurrectionem mortuorum, à savoir l’encyclique de Jean-Paul II, Dives in misericordia, un chant destiné à la fête du Christ-Roi et le dernier verset du Credo. On retrouve l’approche grandiose du mouvement initial, avec cuivres et percussions jusqu’au climax, un moment pour les vents et des trompettes en fanfare. La glorification passe par une section confiée aux cordes, avec d’autres effets percussifs (piano, grosse caisse, tam-tam) qui offrent à un baryton un tapis dramatique, avant un unisson des trois solistes et des effets choraux saisissants pour marquer la victoire du Christ et l’avènement de son règne. Dans le domaine de la célébration sacrée, l’inspiration du Polonais est éloquente. Les interprètes sont totalement investis dans ce projet religieux ; les voix sont prenantes, les chœurs superlatifs, et l’Orchestre de Podlachie, mené par Marcin Nałęcz-Niesiołowski (°1972), brille de mille feux. 

La Symphonie n° 2 « Festinemus amare homines », écrite de 2003 à 2005, est une commande des Chœurs de l’Université de Poznan et est présentée dans la notice par le compositeur lui-même. Fortement rythmées, et faisant appel à des forces orchestrales et chorales spectaculaires, les quatre parties (durée globale : 25 minutes), dédiées à Johannes Paulus II in memoriam, se réfèrent à la notion de temps, d’abord irréel, qui se transforme, par le biais de l’amour et de la vie, en espace d’exaltation mystique et de contemplation vibrante, en recherche de l’absolue Vérité. Łukaszewski fait appel à la voix de soprano, à deux chœurs mixtes, à deux pianos (le Duo Ravel : Agnieszka Kozlo et Katarzyna Ewa Sokolowska) et à un orchestre débridé, à la grande diversité percussive. Les paroles émanent d’un texte de Fr. Jan Twardowski, prêtre et poète polonais bien connu dans son pays (1915-2006) ; on y retrouve la pensée du Pape vénéré : « Nous aimons trop peu et toujours trop tard ». Cette partition d’une puissance apocalyptique est, elle aussi, exemplairement servie par les interprètes, que Piotr Borkowski (°1963) dirige d’un geste large. 

Son : 8  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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