La Staatskapelle de Dresde : un anniversaire en coffret
475 Jahre Sächsische Staatskapelle Dresden. 100 Jahre Tonaufnahmen. Staatskapelle de Dresde, Direction : Fritz Busch, Richard Strauss, Karl Bohm, Karl Elmendorff, Joseph Keilberth, Rudolf Kempe, Franz Konwitschny, Otmar Suitner, Martin Turnovský, Kurt Sanderling, Herbert Blomstedt, Hans Vonk, Giuseppe Sinopoli, Fabio Luisi, Bernard Haitink, Myung-Whun Chung, Sir Colin Davis, Christian Thielemann. 1923-2021. Livret en allemand et anglais. 10 CD PROFIL PH23007.
La prestigieuse et légendaire Staatskapelle de Dresde célèbre ses 475 ans mais aussi le centenaire qui s'est écoulé depuis son premier enregistrement. Le label allemand PROFIL qui collabore avec la phalange saxonne dans le cadre d’une collection riche de 53 volumes, propose un coffret anniversaire, très attendu des amateurs de musique orchestrale.
La boîte cartonnée est jolie avec un design graphique qui reprend le logo de l'orchestre avec des teintes sombres mais esthétiques, c’est germain : solide mais sans fantaisie. Le livret est, comme toujours dans le cadre de cette collection, une sorte de mini-livre avec de très belles illustrations et des textes érudits. Par contre, les disques, comme de coutume dans le cadre des coffrets PROFIL, sont placés dans des pochettes en papier dont le rebord en forme de rabat est collé ! Ce qui fait que dans tous les cas, les pochettes s'abîment, voire se déchirent lors de la première sortie des disques. Ce qui était déjà à peine passable dans le cadre des coffrets de rééditions budgets du label, est carrément intolérable pour un coffret premium comme celui-là ! Il est invraisemblable que PROFIL n'ait pas solutionné ce problème pointé au fil de nos chroniques.
Du côté du contenu, le label recycle des extraits de ses différentes parutions de la collection de la Staatskapelle de Dresde, prend en licence quelques titres du label Eterna/Berlin Classics et propose des inédits tirés des archives de la radio MDR Klassik. Au fil de ces 10 disques sont mis à l’honneur les directeurs musicaux de la Staatskapelle depuis Fritz Busch jusqu’à Christian Thielemann, sans oublier des compagnons de route comme Myung-Whun Chung et Sir Colin Davis. Notons que si tous les directeurs musicaux depuis 1923 sont représentés dans ce coffret, Lovro von Matačić (1956-1958) est le seul à manquer à la liste.
Bien évidemment, il s’agit majoritairement de captation de radio avec un son satisfaisant, très bien restauré pour les bandes les plus anciennes, mais qui peut rester précaire pour des oreilles audiophiles. Les premières galettes sont bien sûr concentrées sur la haute époque de l’orchestre avec Fritz Busch, Richard Strauss, Karl Bohm, Karl Elmendorff,Joseph Keilberth ou Rudolf Kempe. Sauf Richard Strauss qui dirige son Don Quichotte à l’occasion d’un concert londonien, ces chefs sont représentés par des ouvertures, préludes et autres pièces courtes. On retient tout de même un brio interprétatif et un orchestre à la beauté virtuose et engagée, en particulier sous la baguette ciselée du trop oublié Joseph Keilberth impacable dans Wagner et vénéneux dans Straus. Pour mettre en avant les années 50/60, PROFIL reprend du catalogue Eterna, label officiel de la RDA, des bandes gravées sous la direction des solides Franz Konwitschny et Otmar Suitner et du génial Kurt Sanderling. De ce dernier, on se rassasie d’un Roméo et Juliette de Tchaïkovski à la puissance orchestrale totale, expurgée de pathos et de lourdeur, ainsi qu’une étonnante Symphonie n°2 de Borodine, campée avec une force qui vient des profondeurs de la terre, ancêtre barbare du Sacre du Printemps. Les Danses moraves de Janáček et la Marche de fête de Dvořák ne permettent pas d'envisager la talent de méconnu Martin Turnovský, mais sa mémoire au service de l'orchestre est ainsi saluée.
Les 6 derniers disques sont de loin les plus intéressants car la plupart de ses bandes sont inédites. Certes la Symphonie alpestre de Richard Strauss sous la direction de Fabio Luisi (qui n'est pas la captation éditée par Sony Classical dans le cadre d'une série de gravures straussiennes du chef italien), vaut plus pour la beauté de l’orchestre que pour une direction qui telle un gros chat se meut sur un coussin confortable au-delà du raisonnable. La symphonie n°4 de Bruckner captée live sous la direction conquérante d’Herbert Blomstedt vaut pour l’énergie déployée. Bien oublié également Hans Vonk propose des œuvres de Weber dont des extraits d’Obéron et Euryanthe. On admire ici l’art d’un chef qui cisèle et fignole une écriture orchestrale taillée sur mesure pour les timbres de cet orchestre. La Symphonie n°2 de Brahms sous la direction de Giuseppe Sinopoli est intéressante par la pureté instrumentale d’une direction qui radiographie les pupitres. Ce Brahms réfute toute narration pastorale pour se concentrer sur la pure logique musicale. Cette direction au scanner met en avant les timbres fascinants et encore typés des pupitres (cors et hautbois en particulier). On monte encore d’un cran avec trois témoignages indispensables de Bernard Haitink dans une impactante et théâtremement articulée ouverture de Manfred de Schumann, une Suite de danse de Béla Bartók lumineuse et chorégraphiée avec humanisme, soit à l'inverse de la pointe sèche d’un Boulez et surtout un Ainsi parlait Zarathoustra, sombre et dramatique de Richard Strauss. Ce dernier témoignage est indispensable et documente l’art de ce chef, capable de jouer la narration et la solidité de la construction interprétative sans jamais en rajouter dans les effets. Tout coule de source avec naturel dans cette lecture fascinante et la Staatskapelle de Dresde, galvanisée, livre ses plus beaux sortilèges sonores. Enfin, autre grand moment, une Symphonie n°1 d’Elgar, noire et gothique, portée par une direction électrique de Colin Davis. Les puristes anglophiles seront sans doute horrifiés, mais la partition se découvre sous un jour inconnu dans la discographie. Enfin, en apothéose, maître Thielmann délivre sa leçon de Wagner dans des ouvertures et des extraits d’opéra. Superbement capté, ce dernier disque saura ravir les hifistes et les amateurs de grand spectacle symphonique et démonstratif.
Dès lors, ce coffret exhaustif et éditorialement bien construit, présente des arguments pour tenter les amateurs de musique symphonique. Les notes suivantes ne prennent pas en compte le rédhibitoire problème des pochettes en papier qui s'abîment derechef car ce n’est pas l’objet de cette cotation, mais le défaut doit être constaté et noté.
Son : 4/10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8/10
Pierre-Jean Tribot