Les exigences d'un "grand opéra"
Les Vêpres siciliennes au Royal Opera House
Pour célébrer le 200e anniversaire de Verdi le Royal Opera de Londres a choisi de présenter, pour la toute première fois de son histoire « Les Vêpres siciliennes » un « grand opéra « en cinq actes que Verdi composa pour l’Opéra de Paris. La première du 13 juin 1855 fut très bien accueillie. Les commentaires d' Hector Berlioz étaient très élogieux mais « Les Vêpres siciliennes » n’ont pas réussi à s’assurer une place dans le répertoire. Même les efforts de Verdi pour le relancer en 1863 en adaptant quelques rôles pour des chanteurs choisis n’ont pas abouti et c’est comme « I vespri siciliani » comme s’appelle la version italienne depuis 1861, que l’œuvre a été le plus représentée.
Le livret d'Eugène Scribe et Charles Duveyrier est basé sur celui pour « Le Duc D’Albe » de Donizetti (encore à l’affiche du Vlaamse Opera pendant la saison 2011-12). La révolte des Flamands contre les Espagnols chez Donizetti est devenue celle des Siciliens contre les Français chez Verdi, mais l’intrigue est restée plus ou moins la même ainsi que les protagonistes : Hélène qui veut venger l’exécution de son frère (son père chez Donizetti), secondée avec ardeur par Henri, son amoureux qui apprend avec horreur qu’il est le fils du gouverneur de la Sicile Monfort (le fils du duc d’Albe chez Donizetti) et dès lors est tiraillé entre les deux camps . Aux révoltés siciliens se joint Procida, grand patriote qui revient d’exil et ne songe qu’à exterminer les français. Son grand air « O tu Palermo » dans la version italienne est un des fragments les plus connus de l’opéra ainsi que l’ouverture.
« Grand opéra » pour Paris veut dire ballet obligatoire et originellement la production londonienne aurait même eu la participation (assez rare) du Royal Ballet. Mais apparemment, chorégraphe et metteur en scène ne se mettant pas d’accord, le grand ballet « Les quatre saisons » du troisième acte fut coupé entièrement. Cela ne veut pas dire qu’on ne danse pas dans ces « Vêpres » londoniennes. Bien au contraire, car le metteur en scène Stefan Herheim situe l’action de l’opéra dans une version stylisée du théâtre pour lequel l’œuvre avait été composée et où les ballerines (à la manière de Degas) sont omniprésentes. La lutte entre les Siciliens et les Français, nous explique le programme, est ainsi aussi la lutte entre l’artiste et les personnes qui veulent user et abuser l’art ! Donc, pendant l’ouverture, nous voyons une douzaine de ballerines et un maître de ballet qui est nul autre que Procida. Quelques soldats et Monfort entrent. Procida est blessé et Monfort fait danser les jeunes filles jusqu’à épuisement. Celle qui est encore sur pied est par la suite violée par Monfort. Puis on nous la montre enceinte et finalement avec le petit Henri. Les murs de l’ingénieux décor de Philipp Fürhofer avec de grands miroirs commencent à bouger pour représenter des intérieurs différents, des paysages, et le plus souvent, la salle de l’opéra envahie par des soldats ou par un public en habit de soirée. Ce procédé sera constamment répété pendant la longue durée du spectacle sans vraiment aider à rendre l’action plus dramatique et, finalement, il devient assez fastidieux. Les chœurs représentent parfois des paysans siciliens en costumes folkloriques (Gesine Völlm), les ballerines en tutu blancs et noirs apparaissent et disparaissent dans une chorégraphie peu inspirée de André De Jong, le petit garçon (Henri ?) se transforme en Eros et en bourreau, Procida habillé d’une crinoline noire est confronté à Hélène dans sa blanche robe de mariée et de temps en temps les lumières de la salle sont allumées comme pour nous faire participer plus activement aux évènements sur scène. Malheureusement, cette profusion d’idées et d’images est plutôt dérangeante et ne rend pas plus captivante la mise en scène. En tout cas pas pour moi.
Dans tout ce remue ménage, les protagonistes n’avaient pas la tâche facile pour imposer leur personnage. Le plus convaincant était Michael Volle en Montfort, tiran sans pitié et père plein de d’amour. Son baryton chaud et ferme rendait justice à la partition et sa prononciation du Français était de loin la meilleure d’une distribution internationale. Bryan Hymel mettait son ténor clair et puissant aux aigus faciles au service de Henri. Lianna Haroutounian (Hélène) chantait avec style et expressivité mais sa voix manquait souvent de volume surtout dans le médium et les coloratures de la siciliana « Merci, jeunes amies » lui donnaient assez de mal. Erwin Schrott n’était apparemment pas très intéressé par le personnage de Procida dont il ne donnait pas l’allure et l’autorité nécessaires et chantait assez indifféremment avec une voix sonore mais peu de legato. Bon travail des petits rôles et des chœurs. Antonio Pappano veillait sur le tout avec amour et grande efficacité, faisait vibrer l’orchestre et donnait l’élan dramatique nécessaire au spectacle. La partition complexe était détaillée avec soin et les différents tableaux prenaient vie sous sa baguette souple mais impérieuse. Et l’orchestre du Royal Opera suivait son chef avec conviction et de beaux moments instrumentaux.
Erna Metdepenninghen
Londres, Royal Opera House, le 11 novembre 2013