La Forza del Destino à Londres : gloire à Verdi
Aucune production n’a sans doute été autant attendue et déjà commentée que La Forza del destino de Verdi programmée par le Royal Opera House de Londres,où l’oeuvre n’avait plus été à l’affiche depuis 2004. Pas pour la mise en scène de Christof Loy dont le public londonien connait le style et déjà présentée à Amsterdam en 2017, mais pour la distribution réunissant Anna Netrebko, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier, malheureusement pas dans les dix spectacles de la série. Trois grands noms mais aussi et surtout trois artistes qui savent comment on chante Verdi et disposent du matériel vocal nécessaire et le style pour rendre justice à cette partition impressionnante et exigeante, dramatique et haute en couleur, parfaitement maîtrisée par Antonio Pappano et l’excellent orchestre du Royal Opera.
Comme à son habitude Christof Loy combine les époques dans une mise en scène qui fait plus que raconter l’histoire. Pendant l’ouverture, il nous montre Leonora et son frère Carlo, enfants, corrigés par un père strict et il dresse déjà un état des lieux de leurs caractères et de leurs relations peu amicales. Un seul décor (Christian Schmidt) pour tous les actes, une grande chambre blanche, démantelée au gré des besoins et des circonstances. Les costumes situent les personnages plus que les époques, culminant dans la scène du champ de bataille où Preziosilla rassemble tout le monde comme pour un grand carnaval qui se transforme en un « Rataplan » plus endiablé que militaire. Un grand bravo aux chœurs qui s’engagent à fond dans toutes les scènes, bien dirigés par Christof Loy qui réussit aussi à conférer un profil convaincant aux protagonistes. Grâce à leur engagement, bien sûr, et une admirable interprétation vocale. Anna Netrebko, qui débutait dans le rôle de Leonora, lui offre son ample soprano, homogène dans toute la tessiture et si bien maîtrisé, et son interprétation expressive, pleine de nuances et de piani émouvants avec une remarquable projection du texte. L’ovation que le public lui a réservée pour son interprétation de Pace, pace au dernier acte était plus que méritée. Jonas Kaufmann campe un Alvaro passionné, ombrageux et résigné et chante sa partition exigeante d’une voix libre, saine et puissante, avec une belle « italianita », dans une interprétation vibrante et engagée mais aussi des subtilités vocales émouvantes en mezza voce. Avec Ludovic Tézier qui donnait profil à Carlo, le frère vengeur de Leonora, Jonas Kaufmann est face à un adversaire de niveau pour lui donner la réplique dans leurs duos remarquables. Tézier est un vrai baryton Verdi et il brille dans sa grande scène Urna fatale, un moment mémorable.
Belle prestation aussi de Veronica Simeoni à la voix de mezzo assez claire, qui propose une Preziosilla plutôt inattendue (et voulue par la mise en scène) et se dépense sans réserve dans une chorégraphie excitante. Ferruccio Furlanetto donne autorité et humanité au Padre Guardiano de sa voix de basse sonore, et Alessandro Corbelli campe un Fra Melitone impayable. Carlo Bosi est parfait en Trabucco, comme Roberta Alexander (Curra) et Michael Mofidian ( Alcalde), mais Robert Lloyd (Marquis de Calatrava) manque de voix. Les chœurs font de l’excellent un travail. Antonio Pappano donne une belle tension au spectacle qu’il tient jusqu’au bout des quatre heures que dure la représentation, dans une remarquable symbiose entre la fosse et la scène qui ne peut laisser indifférent.
Londres, Royal Opera House
Erna Metdepenninghen
Crédits photographiques : Bill Cooper