L'Opéra-Comique au défi de la modernité 1850-1914

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Colloque
Dans le cadre de la production de Lakmé, l'Opéra-Comique organisait un de ses colloques passionnants dont il a le secret. Cela faisait mon quatrième colloque salle Favart, et j'en suis ressorti toujours aussi ébloui par la qualité des intervenants, leur passion, et la pertinence de leurs exposés, certes souvent pointus, mais toujours instructifs. Le colloque était patronné par le Palazzetto Bru Zane, et dirigé de main de maître par Alexandre Dratwicki et Agnès Terrier.
François de Medicis, professeur à l'université de Montréal, entamait la première journée par le thème fondamental du colloque : la situation de l'opéra-comique à l'époque de Lakmé (1883), soit une époque tardive pour ce genre éclos au milieu du XVIIIe siècle. Contrairement à l'Opéra de Paris, un peu sclérosé, la salle Favart soutenait la création, conjointement avec La Monnaie de Bruxelles. Au moyen d'exemples musicaux joués au piano, de Medicis nous fait découvrir deux partitions rares : Attendez-moi sous l'orme, de Vincent d'Indy, et Kermaria de Camille Erlanger. On découvre de la bien belle musique dans ces ouvrages oubliés... Agnès Terrier nous entretint ensuite du livret d'opéra, depuis Quinault jusqu'à 1900. Le livret en vers tout d'abord, puis en vers libres, en prose enfin. C'était aussi le temps où, suivant Wagner, les compositeurs écrivaient leurs propres livrets (Holmès, Duparc, Chausson, Charpentier, Magnard). L’intervenante exposa les collaborations Zola-Bruneau et Maeterlinck-Debussy/Dukas. Un trio de dames (Girard, de l'Epine et Ragot) approcha le concept de "modernité" appliqué à Lakmé, tant en 1883 qu'en 2014. Être moderne, est-ce être "de son temps" ou "neuf" ? Lakmé semble relever des deux : le sujet, les costumes et les décors sont tout à fait contemporains ; les thématiques de la colonisation et du choc des civilisations, en revanche, sont bien nouvelles sur la scène lyrique. Hélène Cao analysa les écrits de Debussy sur l'opéra de son temps et passa au crible les textes sur Bruneau (L'Ouragan), Saint-Saëns (Henry VIII) ou d'Indy (L'Etranger) furent ainsi passés au crible. Mais elle disserta aussi sur Rameau, que Debussy révérait. Ou sur le wagnérisme et sur le vérisme. Très intéressant, bien entendu. Tout autre chose par après : la mise en scène de l'époque, et les révolutions apportées par le gaz et l'électricité. Michela Niccolai, une habituée des colloques, traita ainsi de la nouveauté du noir absolu à Bayreuth, du théâtre Antoine, du grand Adolphe Appia, pionnier de l'éclairage scénique, ou de Loïe Fuller et de ses chorégraphies lumineuses. Le genre d'interventions où tout le monde s'instruit. Ce jeudi s'est terminé sur une lecture de Pauline Britaine consacrée à Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, un rien académique.
Le premier exposé du lendemain traitait des rapports entre Labiche et l'opéra-comique. A priori moins excitant, il s'est révélé l'un des plus passionnants grâce à la verve et à l'érudition de Vincent Giroud. Cet éminent universitaire, qui physiquement semblait sortir tout droit de l'année 1883, a parlé joliment de quatre oeuvres composées sur des textes de Labiche, exemples musicaux à l'appui : L'Omelette à la Follembuche de Delibes, Le Voyage en Chine de François Bazin, Le Fils du brigadier de Victor Massé, et Le Coricolo de Ferdinand Poise. Les extraits de Delibes (ouverture, trio, rondo de l'omelette) et de Bazin (ouverture) ont ravi le public conquis par ces musiques charmantes et si inventives. Mais quand et comment monter ces oeuvres oubliées ? Pause toulousaine avec un certain Louis Deffès (1819-1900), Prix de Rome 1847, très oublié, dont nous parla avec entrain Christophe Mirambeau. Se posa à nouveau la question de l'opéra-comique tardif, qui devenait anachronique (Poise, Bazin, Théodore Dubois). Sabine Teulon-Lardic traita la même problématique, sous le titre de "l’opéra-comique rétrospectif : une résistance ludique défiant la modernité après 1870", cette fois avec quatre autres oeuvres : Le Roi l'a dit (Delibes), Gille et Gillotin (Thomas), L'Amour médecin (Poise) et La Basoche (Messager). La dernière offensive du genre contre l'envahisseur wagnéro-verdien ? Défi ou repli ? Opéras à numéros, personnages comiques bien caractérisés, hédonisme de l'écriture, citations du patrimoine musical : "peut-on faire du neuf avec du vieux ?" conclura-t-elle, laissant chacun s’interroger sur cette question fondamentale. La fin de l'après-midi - et du colloque - était dédiée au naturalisme triomphant, avec des exposés sur trois oeuvres emblématiques de ce courant. Tout d'abord le fascinant Le Rêve d'Alfred Bruneau, par Jean-Christophe Branger, puis l'hispanisante La Habanera de Raoul Laparra, par Stéphan Etcharry, et enfin la sulfureuse La Lépreuse de Sylvio Lazzari, par Sylvie Douche. Pour cette Lépreuse, la conférencière retraça l'historique de l'"affaire" car, vu l'argument quelque peu abominable de l'opéra (une vieille communique la lèpre au fiancé de sa fille par pure envie de faire du Mal), le dossier remonta jusqu'à l'Assemblée Nationale en 1901. Des extraits musicaux convainquirent le public de la beauté farouche de la musique de Lazzari. Mais osera-t-on remonter cette œuvre de nos jours ? Sur cet après-midi tout à fait aventureux se clôtura le colloque, qui ouvrit tant de pistes pour l'avenir de l'opéra-comique. Avis au successeur de Jérôme Deschamps !
Bruno Peeters
Paris, Salle Favart, 16 et 17 janvier 2014

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