Louis de Caix d’Hervelois, dans le sillage de Marin Marais

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Louis de Caix d’Hervelois (ca. 1677-1759) : Trois Suites pour viole et basse continue en sol mineur/majeur, en mi mineur et en ré mineur/majeur. Suite pour traverso et basse continue en ré majeur. La Berg-op-Zoom. Suite pour pardessus de viole et basse continue en sol majeur/mineur. Plainte, transcription pour théorbe. La la Fernay, transcription pour guitare baroque. La Rêveuse (Florence Bolton, basse et pardessus de viole ; Serge Saitta, traverso et petite flûte ; Emily Audouin, basse de viole ; Carsten Lohff, clavecin et Benjamin Perrot, guitare baroque et théorbe). 2020. Notice en français et en anglais. 68.47. Harmonia Mundi HMM 902352.

Né près d’Amiens dans une famille modeste dont le père porte le nom Dervellois et la mère celui de Caix, le jeune Louis s’appellera d’Hervelois de Caix dans des actes officiels, mais inversera les deux patronymes pour sa carrière artistique, la famille maternelle ayant connu l’aisance, et certains de ses membres ayant réussi à Paris. En musique, il s’appellera Caix d’Hervelois. C’est ce que nous apprend Florence Bolton dans sa notice très documentée sur ce maître du XVIIIe siècle qui eut la chance de pouvoir étudier auprès de Marin Marais (1656-1728). Nous laisserons au mélomane le plaisir de découvrir les détails de cette introduction, qui écorche au passage la présentation faite par François-Joseph Fétis dans sa Biographie universelle des musiciens de 1839, la qualifiant de farfelue. Des recherches récentes ont permis de cerner le personnage de Caix d’Hervelois dont, hélas, il n’existe aucune image, nous privant ainsi de sa connaissance physique. Résumons néanmoins sa vie dans les grandes lignes. Un oncle offre le gîte et le couvert parisiens au jeune homme, qui reçoit en prêt une viole de gambe du maître de musique de la Chapelle Saint-Martin, François Chapperon (?-1698). Ce dernier a donné des cours à Marin Marais auquel il recommande Caix, qui ne reconnaîtra qu’à peine la dette qu’il doit au dernier nommé. Il est en fait attiré par le clavecin ou le violon. L’ombre poétique et touchante de Marais ne cessera cependant jamais de hanter les pages de ses œuvres, précise Florence Bolton. Des zones d’ombre existent sur l’évolution de Caix d’Hervelois qui s’installe comme « maître de viole » et publie, semble-t-il entre 1708 et 1711, un premier livre de pièces de basse pour l’instrument. Son but est de s’élever dans la vie sociale : il contracte un mariage en 1714 avec une dame fortunée, ce qui va lui permettre des opérations immobilières lucratives, et aussi de développer le sens du négoce affûté pour ce qui touche à la musique, ce que dévoilera un inventaire impressionnant de biens dans ce domaine après son décès. Son épouse meurt en couches en 1730 et lui laisse quatre enfants qui ne lui faciliteront pas la vie et connaîtront des fortunes diverses : sa fille aînée et son fils cadet disparaîtront avant lui, le dernier après une existence dissipée rachetée par une mort au combat face aux Anglais. Aucun ne suivra les traces paternelles sur le plan musical. 

Cette biographie résumée par nos soins est nécessaire pour placer le personnage dans son époque, d’autant plus que les enregistrements de ses œuvres n’encombrent pas les rayons. On citera notamment Jordi Savall, Ton Koopman et Hopkinson Smith pour un disque commun paru chez Auvidis/Astrée, ou Jean-Louis Charbonnier chez Ligia ou Pierre Vérany. Cette publication est donc précieuse car elle permet d’’entrer plus avant dans l’univers d’un compositeur qui se fait peu à peu un réseau d’élèves parmi la noblesse et la bourgeoisie d’affaires mais ne jouera jamais à la cour - ce qu’avait erronément affirmé Fétis dans l’article évoqué plus avant, le musicographe belge ayant placé Caix d’Herverlois comme valet de chambre du Régent, qui, selon lui, l’aurait même pensionné ! Compositeur abondant, il a laissé une série de recueils : cinq pour la basse de viole, d’autres pour le traverso et/ou le pardessus de viole. Sa musique est appréciée par ses contemporains, et il n’hésitera pas à retravailler certaines pièces et à les adapter, tout en modifiant leurs titres pour faire croire à une nouveauté. 

 L’ensemble La Rêveuse, fondé en 2004, est à la tête d’une discographie d’œuvres de Purcell, Marin Marais, Telemann ou Elisabeth Jacquet de la Guerre, et aussi, pour le même label Harmonia Mundi, d’un programme London circa 1720, où se côtoyaient Haendel, Corelli et Geminiani. Cet album propose une série de suites significatives de l’art de Caix d’Hervelois. Trois d’entre elles sont dévolues à la viole ; elles respirent l’élégance à la française, dans un contexte d’une fraîcheur et d’une pureté d’expression qui combinent un équilibre fin avec une grande souplesse mélodique. Entre grâce et vitalité, la séduction s’installe, comme c’est le cas aussi pour cette Suite pour traverso, de plus en plus à l’honneur en cette période qui voit des flûtistes épanouir la délicatesse et la fluidité de l’instrument. L’incitation au rêve a bien sa place dans le contexte que l’on imagine, celui d’une société qui peu à peu apprécie une musique où le sentiment et la sensation sont de bon goût. 

Caix d’Hervelois s’intéresse aussi au pardessus de viole à cinq et six cordes, alors que l’attrait pour la viole commence à diminuer. Florence Bolton souligne bien le fait que le pardessus, ornement de salon, est très apprécié par la gent féminine à laquelle il est plutôt réservé, notamment pour des pièces faciles ; au-delà, il mène aussi à cette fameuse musique italienne autour de laquelle les débats font rage dans les salons. L’affiche est complétée par deux courtes transcriptions pour guitare baroque (dont une Plainte veloutée) et par une page d’une noble vitalité intitulée La Berg-op-Zoom et tirée du Ve livre de pièces de viole. Une fois de plus, l’ensemble La Rêveuse fait la démonstration d’une grande aisance technique et d’une écoute mutuelle sensible et complice. Les amateurs de ce type de musique seront enchantés, même si l’on peut admettre que Caix d’Hervelois, s’il est un compositeur de talent, n’atteint pas le poignant génie de Marin Marais. C’est dans le cadre fastueux et original du château de Chambord que l’enregistrement a été effectué, en septembre 2020. 

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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