Madrigaux tardifs de Giaches de Wert, somptueusement sculptés par Voces Suaves
Versi d’amore. Giaches de Wert (1659-1695) : Voglia mi vien ; Un jour je m’en allais ; De que sirve ; Dica chi vuol ; M’ha punto Amor ; Mi parto, ahi sorte ria / Partisti, ahi dura sorte [Il primo Libro delle canzonette]. Vago augelletto ; Mia benigna fortuna ; Quel rossignol [Il nono Libro de Madrigali]. Amor che sai ; Datemi pace ; Misera, quanto tempo ; Tu canti e canto anch’io ; Non mi conosci tu? [Il decimo Libro de Madrigali]. Che fai Alma? [L’undecimo Libro de Madrigali]. Vincenzo Galilei (1520-1591) : Ricercare [Fronimo Dialogo]. Voces Suaves. Livret en anglais, français, allemand (paroles des chants avec traduction trilingue). 2021. 59’38. Arcana A536
Quel bonheur d’écoute ! On succombe dès Voglia mi vien et le plaisir ne nous lâche plus. Doit-on l’avouer, certains projets discographiques, intéressants sur le papier, s’avèrent un peu décevants à l’oreille -raison pour souligner combien ici le programme et sa réalisation sont à l’avenant. Certes le prolixe Giaches de Wert, un des principaux représentants du genre madrigalesque, n’est pas un inconnu dans ce répertoire. Mais l’angle du CD a choisi un menu tout à fait cohérent pour ficeler ce récital, puisé à la maturité (1588-1591) de ce maestro di cappella de la basilique palatine de Santa Barbara, sous l’égide du Duc de Mantoue, et qui évolue ici dans le contexte esthétique impulsé par le jeune Vincenzo, héritier de Guglielmo Gonzaga.
Après la poésie du Tasse dans le précédent Livre, et tandis que Giovanni Battista Guarini influence le Decimo Libro, le Nono Libro marque un retour à Pétrarque que le Flamand avait d’abondance sollicité dans les trois premiers recueils, et qui se trouve ici chanté a cappella pour préserver le raffinement des mots. Huit pièces de ces deux livres tardifs apparaissent dans ce CD, ainsi que Che fai Alma?, dialogue à sept voix, emprunté au suivant. Une veine plus conviviale, et plus facile d’exécution, dérivée de la villanelle napolitaine, est conviée par quelques extraits du Primo Libro delle canzonette. Pour ces chants légers, l’équipe recourt à un accompagnement instrumental (violes, flûte, cordes pincées), que ce soit pour différencier strophes ou personnages, voire pour assurer introduction et refrain aux textes succincts. Un Ricercare de Galilei, égrené par Thor-Harald Johnsen, fait aussi figure d’intermède.
Au sein de la thématique amoureuse inhérente à cette production, le choix des œuvres brode une étonnante variété d’humeurs : tout un éventail entre le douloureux recueillement (les délicats chromatismes de Quel rossignol) et la gouaille d’un inénarrable M’ha punto Amor. Depuis ses enregistrements chez le même label consacrés à Heinrich Schütz, Stefano Bernardi et Giovanni Croce, on savait que l’ensemble fondé à Bâle voilà dix ans était une troupe à suivre et chérir. Timbres pleins, éloquence sans inhibition d’affect, densité et relief de la pâte vocale (malgré une captation un peu frontale qui aurait mérité davantage d’acoustique ambiante) : Voces Suaves mérite plus que jamais son épithète, mais vibre aussi d’un grain qui fait toute la vie de son interprétation. L’émotion nait spontanément, sans apprêt, et parfois dans la gracilité même de ses présentations solistes (Mi parto, ahi sorte ria).
On regretterait seulement que l’anthologie ne dépasse pas l’heure -toutefois laissera-t-elle quiconque sur sa faim ? Un apport bienvenu, captivante alternative à la patine immaculée (et non moins expressive) de La Venexiana dans les Livres VII, VIII et XI (Glossa). Et surtout un disque majeur pour s’immerger dans l’éloquente et ultime manière de ce témoin de la Renaissance ultramontaine, glorieux trait d’union entre Cyprien de Rore et le jeune Monteverdi.
Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 10
Christophe Steyne