En Suisse avec la famille Mozart
René Spalinger : Quand Mozart traversait la Suisse. Genève, Editions Slatkine. ISBN 978-2-8321-1115-4. 2022. 710 pages. Prix non précisé.
Conscient des remarquables dons musicaux de ses deux enfants, Maria Anna, dite Nannerl, et, surtout, de ceux du cadet Wolfgang Amadeus, Leopold Mozart les emmène en tournée dès 1762, à Vienne. Au début de l’année suivante, le vice-maître de la chapelle du Prince-Archevêque de Salzbourg, décidé à accomplir un voyage plus ambitieux, obtient un congé de longue durée ; la famille Mozart quitte Salzbourg le 9 juin 1763 et en sera absente pendant plus de trois ans. Ce sera d’abord la France et la Cour de Versailles, avant le royaume d’Angleterre à partir d’avril 1764, pour un séjour de quinze mois. La famille poursuit son périple en Flandres et en Hollande entre août 1765 et avril 1766, avant un nouveau et bref arrêt à Versailles, puis un mois à Paris, quitté le 9 juillet. Il est temps d’envisager le retour à Salzbourg. Après quinze jours à Dijon et quatre semaines à Lyon, l’heure du départ a sonné. Mais quel itinéraire choisir ? Par l’Italie du Nord ou par la Suisse ? Ce sera finalement par l’Helvétie.
René Spalinger (°1946), musicien (il a été baryton-basse et chef de chœur), chef d’orchestre, essayiste, conférencier et fondateur-président de la Société Mozart Lausanne 1766, fait revivre les grandes lignes de cette longue escapade européenne, avant d’inviter le lecteur à suivre pas à pas le trajet de retour suivi par la famille de Wolfgang. C’est d’abord Genève où règne la guerre civile, ce qui n’empêche pas un séjour de trois semaines, avec concerts. L’éventualité d’une visite à Voltaire n’est hélas pas concrétisée ; par contre une rencontre a lieu avec Grétry qui est de passage et qui, sans citer le nom de Wolfgang, évoquera dans ses mémoires le jeune prodige qui exécute un morceau de sonate composé par le Liégeois, en modifiant certains passages ! Lausanne est l’étape suivante, pour une semaine, avec deux concerts à l’Hôtel de ville, les 15 et 18 septembre, avant Berne pour huit jours, Zurich pour deux semaines, puis Winterthur et Schaffhouse, la frontière étant franchie en direction de Donaueschingen. Le retour à Salzbourg a lieu le 29 novembre 1766. Wolfgang Amadeus avait sept ans et demi au départ du voyage ; il en aura onze le 27 janvier de l’année suivante.
L’auteur reproduit un large extrait de ce qu’il nomme avec raison « un document précieux ». Il s’agit de la seule lettre envoyée par Léopold Mozart pendant cette période à Lorenz Hagenauer, son correspondant habituel à Salzbourg. Le père de Wolfgang y résume les étapes accomplies, fait part de quelques rencontres, notamment avec des membres de la noblesse et des intellectuels, dont le poète Salomon Gessner qui le comblera de cadeaux. Mais il ne fait aucune allusion aux concerts ni aux prestations privées, peu nombreux, mais qui ont pourtant eu du retentissement.
En 2006, aux mêmes éditions Slatkine, René Spalinger avait publié Quand Mozart passait à Lausanne. Il élargit ici le propos et profite de la présence mozartienne pour s’attarder longuement sur les caractères généraux de la société suisse du temps : politique, économie, organisation militaire, vie sociale, littérature, éducation, culture, et les replacer dans leur contexte. Chaque étape fait l’objet d’une présentation détaillée quant à son histoire, ses particularités, son architecture, sa religion, ses personnalités, sa vie musicale, encore peu développée en certains lieux… Le lecteur prend ainsi connaissance de la Suisse au XVIIIe siècle, des paysages traversés, des conditions de déplacements, qui ne sont pas une sinécure, du logement ou de l’hôtellerie. La précision des recherches de l’auteur et son érudition, que de nombreuses notes prolongent, font de ce livre une somme intellectuelle qui dépasse le simple cadre du sujet pour devenir en quelque sorte un hommage au pays natal (René Spalinger est originaire du canton de Vaud).
Une dernière partie (plus de cent pages) s’intéresse à la destinée de chacun des membres de la famille Mozart qui ont participé à l’aventure du voyage européen, mais aussi à celle de Constance, l’épouse de Wolfgang. La descendance du compositeur, le fils Carl Thomas, qui renonça à la musique, et l’autre fils, Franz Xaver Wolfgang, qui devint compositeur et accomplit lui aussi un déplacement en Suisse en 1820, ainsi qu’Aloysia Lange, la belle-sœur de Wolfgang, en déplacements à Zurich pendant la décennie 1810, ne sont pas oubliés.
Plusieurs annexes, une abondante bibliographie et des index des personnes, des lieux, des correspondances et des œuvres complètent ce volume. Ce dernier se révèle certes touffu, et déborde d’éléments qui dépassent le sujet stricto sensu, ce qui n’en rend pas toujours la lecture confortable. Quant à la structure de la traversée de la Suisse par les Mozart, elle pourra paraître enchevêtrée dans la présentation et la description de l’univers helvétique du temps. Mais l’intérêt global de ce luxueux volume dépasse toute réserve, d’autant plus qu’il bénéficie d’une iconographie riche de près de cent cinquante illustrations, qu’un relevé précis vient détailler avec opportunité. Il aura fière allure dans toute bibliothèque mozartienne.
Jean Lacroix