Mendelssohn par Bernius : une Nuit de Walpurgis peu enflammée

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Felix MENDELSSOHN (1809-1847) : La première nuit de Walpurgis op. 60, cantate pour soli, chœur et orchestre ; Œdipe à Colone op. 93, musique de scène (extraits). Renée Morloc, alto ; David Fischer, ténor, Stephan Genz, baryton, David Jerusalem, basse ; Chœur de chambre de Stuttgart ; Die Deutsche Kammerphilharmonie Bremen ; Klassische Philharmonie Stuttgart, direction Frieder Bernius. 2020. Livret en anglais et en allemand. Textes en allemand avec traduction anglaise. 47.19. Carus 83.503. 

Le 2 février 1843, Mendelssohn dirige à Leipzig la création de la version définitive de sa cantate La première nuit de Walpurgis, inspirée d’une ballade de Goethe pour lequel il a toujours eu une profonde admiration. Berlioz, qui entendit l’œuvre au milieu de la répétition générale, en a laissé un témoignage dans une lettre adressée à son ami Stephen Heller, compositeur et pianiste hongrois installé à Paris : Il faut entendre la musique de Mendelssohn pour avoir une idée des ressources variées que ce poème offrait à un habile compositeur. Il en a tiré un parti admirable. Sa partition est d’une clarté parfaite malgré sa complexité ; les effets de voix et d’instruments s’y croisent dans tous les sens, se contrarient, se heurtent avec un désordre apparent qui est le comble de l’art. (Mémoires, Lyon, Symétrie, 2010, p. 350). Il ne s’agit pas de la séquence du Faust de Goethe dans laquelle Méphisto entraîne le héros dans les montagnes du Harz pour assister au ballet des sorcières, mais de la ballade écrite en 1799 sur le même thème. Le sujet du poème se réfère à la coutume populaire qui salue la fin de l’hiver et le retour du printemps et contient un fond religieux : l’interdiction faite aux Celtes païens par les chrétiens de célébrer cette coutume, défense qui ne sera pas respectée. Mendelssohn emporte le texte lors d’un voyage en Italie en 1830 et en dirige une première version à Berlin en janvier 1833, mais il n’en est pas satisfait. Il remanie sa partition dix ans plus tard. 

L’ouverture symbolise le passage des saisons, celui-ci est fêté par le chœur qui salue l’arrivée de mai. Les bûchers sont allumés afin de tromper l’interdiction. Le moment d’apothéose se situe dans la bacchanale Kommt mit Zacken und mit Gabeln (Venez avec tridents et fourches…). Le rituel s’achève par la célébration solennelle de la flamme. Mendelssohn a écrit une partition magistrale, dans un climat de féerie allusive. C’est sans doute l’un de ses plus grands chefs d’œuvre, avec des interventions solistes ou chorales de grande ampleur. La concision même du propos musical (un peu plus de trente minutes) confère à cette scène goethéenne la puissance d’évocation que le grand écrivain, puis le compositeur, ont voulu y insuffler, mais Goethe ne put l’entendre puisqu’il devait décéder quelques mois avant la création. La discographie est dominée depuis longtemps par la version du début des années 1970 de Kurt Masur à la tête du Gewandhaus de Leipzig, parue chez Berlin Classics dans une prise de son somptueuse. L’engagement dramatique y est profond, le Rundfunkchor Leipzig fait preuve d’une unité sidérante et d’une souplesse inspirée. Quant au plateau de solistes, on ne peut rêver mieux : Annelies Burmeister, Eberhard Büchner, Siegfried Lorenz et Siegfried Vogel sont parfaits. La bacchanale est grandiose. C’est cette version inégalable que le label Hänssler a choisie à juste titre pour sa récente « Edition Mendelssohn » en 56 CD (CD n° 29). Après Masur, d’autres versions ont suivi, notamment Corboz, von Dohnanyi (deux fois), ou Harnoncourt, mais la fièvre qui envahit l’équipe de Masur n’a pas été approchée. 

Dans le présent CD Carus, c’est Frieder Bernius, un mendelssohnien chevronné, qui tient la baguette. Né en 1947 à Ludwigshafen, ce chef d’orchestre et de chœur a fondé en 1968 le Kammerchor Stuttgart. Il s’est spécialisé dans la musique sacrée ; sa discographie est notamment riche d’interprétations de Bach, Zelenka, Beethoven, Brahms et de plusieurs Mendelssohn, dont il a dirigé les oratorios Paulus, Elias ou Christus mais aussi des œuvres pour chœur et de la musique de scène. Sa vision de La Nuit de Walpurgis n’a pas le même caractère que celle de Kurt Masur. Bernius joue plus sur la transparence de la texture -impression que donne également la prise de son où l’on constate des phases de saturation-, sur les couleurs et sur un côté éthéré, lecture que l’on peut à la rigueur découvrir parfois dans le texte de Goethe, mais qui est marginale. Avec Bernius, la subtilité est de mise, les timbres sont plus légers, moins théâtraux. On est plus dans l’allusif que dans l’investissement dramatique que Masur déployait dans un grand geste puissant. Les voix solistes sont du même ordre ; quoique dynamiques, elles s’inscrivent dans cette option où la fine expressivité l’emporte sur la passion. La bacchanale est par ailleurs bien trop sage. On salue une esthétique certes limpide, mais on demeure circonspect face à une pulsation émaciée dans cette version réalisée les 28 et 29 avril 2019 à Stuttgart avec la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême dont Paavo Järvi a été longtemps le directeur musical.  

Ce CD Carus est complété par trois extraits de la musique de scène Œdipe à Colone, créée à Potsdam le 1er novembre 1845 ; elle comprend une introduction, suivie de neuf numéros vocaux, récitatifs et mélodrames, avec un double chœur masculin à huit voix. Elle est basée sur la pièce de Sophocle qui évoque la fin de la vie d’Œdipe. Banni de Thèbes, aveugle, il erre sur les routes avec sa fille Antigone et va aboutir à Colone, quartier d’Athènes où il mourra. C’est une collaboration avec le poète Ludwig Tieck qui est à l’origine de cette œuvre chorale aux inflexions douloureuses. Frieder Bernius a déjà enregistré cette partition rare (dont on ne trouve aucune trace dans l’« Edition Mendelssohn » Hänssler mentionnée plus avant) ; c’était en septembre 2004, et Carus l’a rééditée dans un album de trois CD consacrés à de la musique de scène de Mendelssohn. Trois pages de la partition sont ici reprises. On aurait pu espérer que Carus fasse preuve d’un peu d’imagination en adoptant un autre couplage, d’autant plus que le minutage n’atteint pas les cinquante minutes.

Son : 7  Livret : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 7

Jean Lacroix

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