Vladimir Morkov, la guitare en Russie au XIXe siècle

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Un hommage à Vladimir Morkov (1801-1864) : Variations et arrangements divers sur des airs d’opéra, de musique de chambre et de chansons ; Fragments du Stabat mater de Pergolèse ; Préludes pour deux guitares. The Czar’s Guitars (John Schneiderman et Oleg Timofeyev). 2020. Livret en anglais et en allemand. 97.02. Hänssler HC20018 (2 CD).

Né et mort à Saint-Pétersbourg, Vladimir Morkov a étudié auprès d’Andrey Osipovich Sikhra (1773-1850), considéré comme le patriarche de la guitare russe à sept cordes, et pour beaucoup comme son inventeur. Sikhra, pédagogue reconnu et apprécié par des compositeurs comme Glinka, dont il était proche, ou Dargomyjski, lègue à Morkov son bagage artistique que ce dernier approfondira dans un ouvrage théorique et pratique. On dispose de peu de détails biographiques sur la vie de Morkov, qui provenait d’une famille noble et fit une partie de sa carrière dans un département militaire avec le titre de Conseiller à la Cour. A son tour, il enseigne à titre privé (le Conservatoire de Saint-Pétersbourg n’ouvrira ses portes qu’en 1862, deux ans avant sa disparition) et organise des soirées musicales. Il est aussi l’auteur d’un essai sur l’« Histoire de l’opéra russe de ses origines jusqu’en 1862 ». L’album Hänssler propose un vaste panorama de ses compositions. Le premier CD offre des arrangements ou des variations sur des airs d’opéras du Pirate ou de I Capuleti e i Montecchi de Bellini, de La Vie pour le Tsar ou de Ruslan et Ludmila de Glinka, du Barbier de Séville ou d’Othello de Rossini. Le second CD est consacré à des transpositions de romances de Dargomyjski ou Kochubei, des études de Bertini, Carcassi ou Fernando Sor, ainsi qu’à un Thème et variation d’après Haydn, ou des airs populaires. On trouve aussi cinq fragments du Stabat Mater de Pergolèse, dont le Cujus animam gementem ou le Quando corpus morietur. Dix préludes pour deux guitares clôturent cet enregistrement réalisé au Canada, en grande partie dans la Gustin House de Saskatoon, sur les rives de la rivière Saskatchewan.

The Czar’s Guitars est un duo de guitaristes qui existe depuis 2004. L’Américain John Schneiderman, né à Ithaca dans l’état de New York, a étudié dans son pays natal et s’est perfectionné à la Schola Cantorum de Bâle. Il joue du luth baroque et des guitares européenne et russe ; pour cette dernière, il a peu à peu développé une passion qui l’a amené à travailler avec Oleg Timofeyev, d’origine juive russe, né à Moscou en 1963, aujourd’hui Américain. Ce dernier est le fils de la violoncelliste Natalia Timofeyeva et a étudié notamment avec Hopkinson Smith. Il s’est spécialisé dans le répertoire de la guitare russe à sept cordes dont il fait revivre le patrimoine. Avec son partenaire Schneiderman, il a gravé un CD consacré à la musique de Glinka (Profil) et un autre intitulé « Souvenirs de Russie » (Dorian/Solo luminus). Entre 2008 et 2014, les deux guitaristes ont travaillé sur un projet qui a abouti à l’enregistrement d’un coffret de sept CD consacrés à « la guitare russe 1800-1850 » paru chez Brilliant Classics.

On ne peut imaginer meilleurs défenseurs de cette musique souvent intimiste, sans doute composée pour des cercles restreints ou des salons, et qui s’adresse avant tout aux aficionados de l’instrument à sept cordes, avec ses sonorités pincées et graves qui sont souvent pleines de mélancolie et de délicatesse. Schneiderman et Timofeyev se partagent équitablement la première quinzaine de pièces variées dont on retiendra l’habileté de la transcription et l’atmosphère feutrée. L’autre quinzaine est jouée en duo. Les Fragments du Stabat Mater de Pergolèse ne traduisent pas vraiment l’émotion de l’œuvre originale ; on leur préférera la dizaine de Préludes pour deux guitares, ludiques et inventifs. L’impression générale demeure toutefois mitigée, la plupart de ces pièces pouvant être classées dans la catégorie des études pédagogiques, ce qui n’en amoindrit pas l’originalité. Pour le profane, l’écoute en continu peut néanmoins se révéler un peu lassante. Elle ravira par contre les amateurs de guitare, en particulier de l’instrument à sept cordes, d’autant plus que les interprètes, on s’en doute, sont tout à fait à la hauteur de l’attente.

Son : 8  Livret : 8  Répertoire : 7  Interprétation : 9

Jean Lacroix  

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