Michael Gielen et les XXe siècles
Michael Gielen Edition, Volume 7.
Oeuvres de Leos Janacek (1854-1928), Alexandre Zemlinsky (1871-1942), Carl Ruggles (1876-1971), Charles Ives (1874-1954), Colin McPhee (1900-1964) : Tabuh-Tabuhan, Edgar Varèse (1883-1965), Eduard Steuermann (1892-1964), Claude Debussy (1862-1918), Ferruccio Busoni (1866-1924), Max Reger (1873-1916), Franz Schreker (1878-1934), Paul Hindemith (1895-1963), Goffredo Petrassi (1904-2003), Richard Strauss (1864-1949), Giacomo Puccini (1858-1924), Maurice Ravel (1875-1937), Alexander Scriabine (1871-1915).
Solistes, choeurs et orchestres, Michael Gielen. 1 coffret de 8 CD SWR Music. SWR 19061CD. 1961-2006. ADD/DDD. Livret en anglais et allemand. Durée : 10h13
Le label SWR poursuit, avec toute la rigueur, que l’on lui connait, son édition complète des enregistrements de Michael Gielen, venant après des volumes Mahler et Bartók/Stravinsky indispensables, voilà un nouveau volume consacré à des figures du XXe siècle, que ce soit des modernistes (Busoni, Ravel, Debussy, Scriabine), des compositeurs plus néo-classiques et postromantiques (Reger, Schreker, Zemlinsky, Strauss, Petrassi) ou des expérimentateurs de la radicalité (Ives, Ruggles, Varèse, McPhee). On peut par contre mettre de côté les extraits de Madama Butterfly de Giacomo Puccini et des Wesendonck-Lieder de Richard Wagner, présents dans ce coffret par esprit intégraliste de l’éditeur.
Ce qui frappe déjà à la lecture de ce programme c’est la très large palette des esthétiques défendues par la grand chef. Moins exclusif que son ami (et même voisin) de Baden-Baden Pierre Boulez, Gielen se plaisait à sortir des sentiers battus et aborder un répertoire presque illimité qui mettrait un méchant complexe aux jeunes stars actuelles de la baguette qui peinent à élargir leurs fonds de commerce symphonique au-delà d’une poignée de tubes ! Ainsi pour son premier concert radiodiffusé avec l’Orchestre de la SWR, Michel Gielen programmait, entre autre, le Concerto pour orchestre N°1 de Goffredo Petrassi, figure (bien oubliée) du néoclassicisme italien du XXe siècle !
Au fil des interprétations, on retrouve la baguette moderniste à la pointe sèche du chef allemand. Ravel et Debussy évacuent tout sensualisme pour une palette de couleurs plus froides et un traitement peu narratif qui favorise l’impact instrumental. Ce traitement unilatéral soumet la Messe Glagolitique de Janacek à un véritable burin moderniste qui traite les masses vocales et instrumentales comme un bloc de marbre brut à sculpter sans concessions. Même si l’orchestre (et surtout les trompettes) peine à suivre, cette lecture fascine autant qu’elle peut irriter ! Les pépites de ce coffret sont regroupées dans un album “America” avec des partitions de Ives, Ruggles, Varèse et McPhee. Michael Gielen est comme un poisson dans l’eau dans ces différentes langues de la modernité : le magma en fusion de Varèse, le monolithisme abrasif de Ruggles, l'ésotérisme rêveur de McPhee ou les expériences semi-cosmiques de Charles Ives. Sa baguette sait s’adapter aux styles et aux couleurs de ces esthétiques. Moins déterminants dans des discographies riches, mais tout aussi passionnants s’avèrent les gravures de Hindemith, Strauss, Busoni et Schreker.
Certes, ce coffret est moins indispensable que les deux précités plus haut, mais il est un témoin attentif du parcours de l’un des plus grands chefs de son temps. Ce box est aussi une occasion de rendre encore un hommage appuyé aux deux orchestres radio-symphoniques du Bade-Wurtemberg : le SWR Sinfonieorchester de Baden-Baden und Freiburg et le Radio-Sinfonieorchester des SWR de Stuttgart dont la précision des pupitres et la force collective sont des atouts majeurs au service de la vision du chef. Notons pour la précision que le chef fait une infidélité à ces deux phalanges pour une symphonie “Mathis der Maler” de Hindemith enregistrée à Sarrebruck avec l’orchestre radio local.
Pierre-Jean Tribot
Son 7/9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 9