Résurrection d'un opéra gothique ?

par

Michael Spyres (Rodolphe), Marion Lebègue (la Nonne), Chœur Accentus © Pierre Grosbois

La Nonne sanglante de Charles Gounod
Un opéra gothique ? Courant littéraire né à la seconde moitié du XVIIIème siècle en Angleterre (Le Château d'Otrante, de Walpole, Les Mystères d'Udolphe, de Radcliffe), le roman gothique (ou frénétique) influença fortement le romantisme naissant, en littérature bien sûr (Mary Shelley, Hugo, Poe, Maturin), en peinture (Friedrich, Füssli) mais aussi en musique : Der Freischütz, de Weber (1821) ou Robert le Diable, de Meyerbeer (1831) en ressortent de manière indéniable. Surfant sur cette vague, Scribe et Delavigne ont concocté un livret d'opéra sur base d'une adaptation théâtrale française en 1835 (dont s'était inspiré Donizetti pour Maria de Rudenz), elle-même dérivée du roman Le Moine, de Lewis, de 1796. Le livret fut proposé à d'illustres compositeurs tels que Berlioz,  Meyerbeer, Félicien David ou Verdi, en vain. Ce fut enfin le jeune Gounod, à l'aube de sa carrière lyrique (son premier essai, Sapho, datait de 1851), qui s'en chargea, et l'opéra fut créé avec succès à l'Opéra, salle Le Peletier, en 1854. Différentes circonstances firent disparaître l'ouvrage après onze représentations : il ne fut plus jamais repris. Les histoires de revenants et de châteaux hantés étaient-elles passées de mode ? Il est vrai que le courant gothique s'étiolait dans ces années 1850. Le livret est efficace et bien construit. Rodolphe tuera-t-il son propre père pour se libérer de la malédiction de La Nonne sanglante, qu'il a épousée par erreur, qui le hante et le charge de venger son assassinat ? Toujours est-il que cette nouvelle production à l'Opéra Comique, dans le cadre du 6ème Festival Palazzetto Bru Zane Paris, avait des airs de première, ce qu'on ressentait dans la salle, au public très attentif. Venu du théâtre, David Bobée réalise une mise en scène sobre et efficace, sombre sans doute, mais le sujet le veut. De grandes parois noires encadrent l'action, et renforcent l'atmosphère pesante, qui oppressent les protagonistes. Tous excellents acteurs, ils participent activement à l'intrigue. Louis Geymard, créateur du rôle de Rodophe, chantait Arnold, Robert le Diable, Jean de Leyde et Manrico, et participa aussi aux créations de Sapho et de La Reine de Saba de Gounod. Il s'agissait donc bien d'un ténor héroïque, rompu aux épreuves de puissance et d'endurance exigées par ces rôles tout en force. Michael Syres, bien connu dans ce répertoire précis, domine la représentation par un Rodolphe extraordinaire d'aisance, sans aucune fatigue apparente, tout en ravissant l'assistance par un lyrisme rayonnant dans son grand air du troisième acte "Un jour plus pur", qui égale bien un certain "Salut, demeure chaste et pure". Magnifique duo final "Non ! Non ! Je suis parjure et traître", très inspiré, avec l'Agnès de Vannina Santoni, qui détaille bien la "Légende de la Nonne" au premier acte. Mais ni elle ni la Nonne elle-même (grave et menaçante Marion Lebègue) ne disposeront d'un solo. Par contre, le rôle épisodique du page Arthur se voit gratifié de deux airs amusants, dans le style d'Auber : Jodie Devos, en super forme, y excelle, quitte à presque surjouer, par moments. Annoncé souffrant, André Heyboer s'est bien acquitté de son personnage de père coupable, émouvant dans sa grande scène qui ouvre l'acte V "Mon fils me fuit en vain...". Jean Teitgen, bien connu dans ce répertoire, tonna et impressionna dans le rôle de Pierre l'Hermite. Signalons enfin les personnages secondaires, tous bien incarnés : Le baron de Moldaw (Luc Bertion-Hugault), Fritz et le Veilleur de nuit (Enguerrand de Hys) ou Anna (Olivia Doray). L'opéra compte un bon nombre d'ensembles grandioses, tels les finales des premier ou quatrième actes, somptueusement enlevés par Laurence Equilbey, à la tête de son choeur Accentus et de son Insula Orchestra. Celui-ci interprète fort bien le ballet, déplacé au troisième acte, et hélas réduit à deux danses. Formidablement ovationné, il viendra saluer, au complet, à la fin de cette superbe soirée, qui a révélé une partition magistrale.
Bruno Peeters
Paris, Opéra Comique, le 2 juin 2018

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