Musique de chambre de Nino Rota, entre élégance, charme et exubérance

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Nino Rota (1911-1979) : Sonate pour violon et piano ; Improvviso en ré mineur pour violon et piano ; Improvviso pour violon et piano (Un diavolo sentimentale) ; The Legend of Glass Mountain, musique de film, arrangement pour violon et piano ; Sonate pour flûte et harpe ; Trio pour flûte, violon et piano. Alessio Bidoli, violon ; Bruno Canino, piano ; Massimo Mercelli, flûte ; Nicoletta Sanzin, harpe. 2019. Notice en italien, en anglais et en russe. 57’ 21’’. Decca 4819147.

Compositeur de près de 170 musiques de films, notamment pour Fellini (Amarcord, Casanova, Satyricon, Huit et demi), Coppola (Le Parrain) ou Zeffirelli (Roméo et Juliette), Nino Rota a été trop limité à cette seule spécialité, dont il est l’un des maîtres incontestés. Le catalogue de ce prolifique Milanais de naissance est cependant riche de quatre symphonies, d’une dizaine d’opéra, de ballets et de concertos variés, de musique de chambre et de pages pour instruments solistes ou pour la voix. Nous avons déjà salué la qualité de ses pièces pour piano, de son espiègle Nonette, ou du savoureux opéra Il cappello di paglia di Ferenze (notre article 17 avril 2023). C’est à un approfondissement de sa musique de chambre que le programme du présent album nous invite. On en sort le cœur joyeux, avec la certitude d’avoir passé un moment jubilatoire.

Enfant prodige, Rota compose dès ses dix ans un oratorio qui est joué à Milan et à Paris. Le Conservatoire de Milan l’accueille ; il y suit l’enseignement d’Ildebrando Pizzetti, avant celui d’Alfredo Casella à l’Académie Sainte-Cécile de Rome. Sa formation se prolonge aux USA, à Philadelphie, auprès de Rosario Scalero pour la composition et de Fritz Reiner pour la direction d’orchestre. Il entreprend aussi des études de littérature à l’Université de Milan. Il enseigne à Tarente, puis à Bari, dont il devient le directeur du conservatoire de 1950 à son décès. C’est au début de la décennie 1940 qu’il est happé par l’industrie du cinéma, pour lequel il ne va cesser de composer. Sans négliger pour autant le domaine classique.

Le programme proposé par Decca va du milieu des années 1930 à la fin de la décennie 1960, montrant une constance dans la qualité de l’inspiration, généreuse et virtuose, marquée par un néo-classicisme affirmé, élégant et séduisant. La Sonate pour piano et violon en est un exemple parfait. C’est l’œuvre d’un jeune créateur de 25 ans, dont la maîtrise se manifeste déjà à travers un discours fluide, richement mélodique, à l’expressivité chaleureuse. Nourrie d’éloquence dans l’Allegretto cantabile con moto, la sonate s’épanouit dans le lyrisme d’un Largo sostenuto rêveur, avant de laisser la place à l’élan de l’Allegro assai moderato. Une partition délectable, qui mériterait d’être souvent programmée. À la même époque (1937), Nino Rota produit une Sonate pour flûte et harpe. Cette page ravissante, en trois mouvements, qu’un commentateur du temps a rapprochée de l’esprit de Ravel, se révèle attachante par son caractère intimiste, un trait que Rota retrouve vingt ans plus tard dans son Trio pour flûte, violon et piano de 1958, accompagné de touches vives et rythmées, avec un Largo central qui chante avec une joie maîtrisée.

On trouve aussi à l’affiche un judicieux clin d’œil au cinéma, avec un arrangement d’un passage de The Legend of the Glass Moutain, réalisé en 1949 par Henry Cass, un long métrage qui imagine la carrière et les amours d’un compositeur. Les parties vocales mettent en valeur Tito Gobbi (1913-1984), qui fut à l’affiche de vingt-cinq films et eut ainsi l’occasion d’être connu du grand public, de même que la soprano Elena Rizzieri (1922-2016), qui connut un franc succès dans La Bohême de Puccini au cours de la décennie 1950. Ce bref arrangement pour violon et piano reprend le thème d’amour de la production. Deux Improvviso complètent le programme, chaque fois pour violon et piano, respectivement de 1947, puis de 1969. Il s’agit de pages gonflées de lyrisme virtuose, en particulier la seconde, brillante, ce que laisse deviner son sous-titre, Un diavolo sentimentale.

Les interprètes font vivre avec brio ce répertoire alléchant. Le pianiste napolitain Bruno Canino (°1935), dont la précision dynamique fait merveille, a derrière lui une longue carrière, riche de nombreux enregistrements, dont une célèbre intégrale des sonates de Mozart avec Salvatore Accardo (réédition Brilliant, 2004). Il est un partenaire idéal pour le violoniste milanais Alessio Bidoli (°1986), à la sonorité onctueuse, pour le délicat flûtiste Massimo Mercelli (°1959), originaire de la cité d’Imola, et pour la gracieuse harpiste Nicoletta Sanzin, née à Trieste. Ces artistes de talent servent l’exubérante musique de Nino Rota avec un plaisir communicatif. 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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