Musique et politique: l'oeuvre orchestrale de Tikhon Khrennikov

par

Tikhon KHRENNIKOV
(1913-2007)
Symphonies n° 1 à 3-Concertos pour violon n° 1 et 2-Concertos pour violoncelle n° 1 et 2-Concertos pour piano n° 1 à 4
Vadim REPIN (violon), Valentin FEIGIN, Mikhail KHOMITSER (violoncelle), Tikhon KHRENNIKOV, Anatoly SHELUDYAKOV (piano), Orchestre Académique d'Etat de l'URSS, dir.: Evgeny SVETLANOV et Dmitri KITAYENKO, Orchestre Symphonique de la Radio de Moscou, dir.: Maxime CHOSTAKOVITCH, Orchestre de Chambre ARCO, dir.: Levon AMBARTSUMIAN
1973-1993-ADD-73'30, 67'27 et 68'45-Textes de présentation en anglais, français et russe-Melodiya MEL CD 10 02086 (3 cd)
La notice de ce copieux coffret reste silencieuse sur les aspects les plus négatifs du rôle, parfois fédérateur il est vrai, mais le plus souvent cruel et tyrannique, que Tikhon Khrennikov joua dans sa fonction de secrétaire général de l'union des compositeurs soviétiques, un poste qu'il occupa d'une main de fer de 1948 à 1991. Il est d'ailleurs symptomatique qu'aucune mention n'y soit faite non plus de Dimitri Chostakovitch qui, plus qu'aucun autre, eut à souffrir des mesures coercitives dictées par Khrennikov. Les conséquences de cette dictature au sein d'une autre eurent bien sûr une incidence définitive sur les orientations stylistiques de la musique russe et nombreux furent les musiciens de premier ordre qui n'eurent d'autre choix que de se taire ou se soumettre. Remarquons en passant que la musique occidentale a connu pendant la même période une situation fort comparable, même si en quelque sorte « inversée », où un dogmatisme moderniste strict se substituait au conformisme imposé en Russie. Mais si Khrennikov est surtout connu pour ses relations rien moins que cordiales avec ceux - Chostakovitch, Prokofiev, Miaskovsky Khatchaturian ou Schnittke, entre autres - dont il dénonçait à l'envi le « formalisme », un vocable volontairement vague mais bien pratique pour les accusateurs, que savons-nous de son oeuvre en tant que créateur? Pas grand-chose, à vrai dire, d'autant plus que peu d'artistes, même au sein de l'union soviétique, se sont intéressés à sa musique. Est-ce à dire qu'elle soit inintéressante, voire médiocre, surtout au regard du corpus de sa victime préférée? On ne sera guère surpris d'entendre, dans les symphonies, un langage tout compte fait fort proche de celui de Chostakovitch. Et pour cause: ce dernier savait mieux que quiconque ce qu'il pouvait en coûter de s'éloigner des goûts du terrible personnage. C'était en utilisant les harmonies qui lui étaient imposées qu'il pouvait se sentir assuré d'une audience tout en laissant s'exprimer ses propres pensées, soigneusement dissimulées dans ses partitions trompeusement serviles. Si les ingrédients sont les mêmes, le message est donc tout autre chez Khrennikov: ni pessimisme ni amertume mais, au contraire, une vitalité et un enthousiasme qui ne semblent feints à aucun moment, servis par une inventivité mélodique jamais prise en défaut. Même sous la baguette d'un Svetlanov, il y manque cependant cette épaisseur, cette authenticité qui donnaient tout son prix à l'oeuvre de son collègue. Et si la virtuosité de l'écriture est patente, cette volubilité lasse très vite au point que l'on finit par la trouver inutile et bruyante bien avant la fin du disque. Les concertos pour violon et pour violoncelle sont infiniment plus réussis et l'on y trouve des climats que l'on dirait teintés d'incertitude, voire de crainte. On est d'ailleurs ravi d'y trouver le jeune Repin, déjà plein de fougue et de talent. Le troisième disque, par contre, nous replonge dans le malaise du premier: les quatre concertos pour piano sont volubiles jusqu'au vertige et, dans cette optique, remarquablement servis par le compositeur au piano (pour les trois premiers). Mais une fois encore, que tout ceci est bavard et, finalement, bien ennuyeux. Quelques bonnes surprises donc, mais trop souvent desservies par l'absence de véritable vision artistique.
Bernard Postiau
Son 9 - Livret 7 - Répertoire 8 - Interprétation 10
Khrennikov, Chostakovitch, Prokofiev, Schnittke, Miaskovsky, Khatchaturian, Svetlanov, Repin

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