Musique vocale expérimentale

par

Dariusz Przybylski (1984) : Passio pour douze voix - …Et desiderabunt mori… - Miserere
Solistenensemble PHØNIX16, Timo Kreuser, direction
2014-DDD-CD1 : 56’58, CD2 : 45’16-Textes de présentation en anglais, polonais et allemand-Dux 1119/1120

Ecrire une œuvre pour douze voix a cappella de plus de 80 minutes et la rendre passionnante, voilà un enjeu de taille et un vrai défi pour tout compositeur. Le très jeune Dariusz Przybylski (31 ans) est né en Pologne et étudia en Allemagne auprès de York Höller et Wolfgang Rihm. Il devient en 2012 compositeur en résidence de l’ensemble PHØNIX16, ensemble de 16 voix fondé en 2012 à Berlin. Adoptant une nouvelle approche de la voix, en collaboration avec des jeunes compositeurs, l’ensemble se spécialise dans la performance et le développement d’une musique vocale expérimentale (œuvres, techniques, formation…). Passio pour douze voix est le résultat de cette résidence : une pièce mystique où l’austérité prend le pas sur l’ouverture. Troublante également par sa mise en exergue d’un lien très fort avec le texte, adapté ici par le compositeur. Sur des textes universels, l’auteur décide d’y apporte une touche personnelle par la diversification des langues. Ainsi, l’auditeur entendra le latin de la liturgie catholique, le polonais des hymnes et l’Allemand d’une chorale protestante allemande mais aussi pas moins de sept langues européennes pour « Eli, Eli lama sabachthani » (Matthieu 27 :46). Derrière cette originalité découle un discours peu emprunt à la mouvance, souvent statique mais à aucun moment terne. D’une nouvelle technique de respiration à une émission novatrice, l’auditeur est emmené dans un processus rituel intense où les mouvements d’un élément à l’autre avancent lentement. Sur base d’une construction modale, cette musique religieuse d’une intimité écrasante repose sur la manière inhabituelle qu’use le compositeur pour mettre en corrélation les voix et quelques symboliques. Véritable œuvre de fusion de culture et d’idées, Przybylski reconsidère la musique vocale avec cette partition. D’une grande transparence, les deux autres œuvres du double disque sont dans la même veine et apportent, à nouveau, textures et jeu de couleurs.
Une partition aussi complexe, tant sur la compréhension du style que sur la forme, mérite une lecture approfondie et éclairée. Sous la direction limpide de Timo Kreuser, PHØNIX16 poursuit sa mission d’explorateur en proposant ici une interprétation singulière et passionnante. Tant par pupitres qu’en soliste, chaque chanteur collabore admirablement avec ses collègues, créant un son homogène et précis grâce à une palette de couleurs et dynamiques remarquable. Aussi, la volonté d’innover et de tendre vers la création est sans doute un argument de poids pour le travail. L’approche de l’œuvre semble avoir été comprise, la construction des motifs et de la forme aboutie tandis que chaque note est mise en avant. Plus de 80 minutes de musique qu’il faudrait découvrir en live tant l’intensité de l’œuvre nous bouleverse.
Ayrton Desimpelaere

Son 10 – Livret 7 – Répertoire 10 – Interprétation 10

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