Passions féminines
C’est sous la baguette énergique et passionnée d’Andrew Litton que rayonne ce soir l’Orchestre National de Lille dans sa nouvelle salle. Rouverte depuis le 10 janvier 2013, la salle aux briques rouges s’est convertie en un véritable joyau tant du point de vue de l’architecture qu’acoustique accueillant 1700 personnes. Coût : 15 millions d’euros. L’Agence Pierre Louis Carlier -qui avait déjà travaillé à l’opéra- en était le maître d’œuvre. Conjointement, Eckhard Kahle a géré le travail acoustique –il est en charge aussi de la Philharmonie de Paris en construction. Panneaux de bois, disposition rectangulaire, nouveaux fauteuils, beau parquet concourent à rendre la salle, un ensemble harmonieuse et acoustiquement remarquable. L’arrière-scène qui peut accueillir un chœur, voire des solistes. La rénovation était nécessaire et l’ONLille bénéficie maintenant d’une salle à la hauteur de son excellence.
Concert en deux parties ce samedi avec, en préambule, la Chanson des souvenirs (Canzone dei ricordi) de Giuseppe Martucci. Œuvre peu connue qui surprend par ses couleurs wagnériennes mais où l’on pourra aussi percevoir quelques souvenirs de Berlioz, Debussy, Strauss et tant d’autres. L’œuvre est brillamment défendue par la soprano italienne Anna Caterina Antonnaci. Lauréate des concours Verdi, Maria Callas et Pavarotti, elle est très à l’aise dans cette œuvre qu’elle a déjà enregistrée : beaucoup de douceur teintée de lyrisme dès les premières notes. Ses talents de tragédienne et son aisance à passer du registre de soprano à celui de mezzo sont appréciables dans cette œuvre composée d’abord pour ténor et piano (1872, Romance). Martucci la retravaille en 1886-1887, cette fois pour voix de femme et orchestre. Sept parties différentes mais liées par la douceur et la délicatesse. La fluidité que requise est soulignée par la battue souple du chef. Beau dialogue, très naturel, entre la soliste et l’orchestre. Martucci y mobilise les pupitres de cordes et de vents. Aucune percussion qui bousculerait l’ambiance feutrée et les épisodes dynamiques sont construits autour de rythmes pointés avec quelques accents.
Pour continuer sur le thème de la Femme (rappelons que le titre du concert est Passions féminines), il n’est pas anodin de trouver en seconde partie la Symphonie n°6 de Gustav Mahler. Composée début 20e siècle, cette symphonie est un retour aux sources, aux formes classiques, un bel aperçu de la présence féminine dans l’œuvre du compositeur: sa femme Alma avec le second thème du premier mouvement et ses filles dans le scherzo. Mais pourquoi « Tragique »? Les trois coups de marteau et l’enchaînement des accords majeur/mineur sont prémonitoires du terrible destin de la famille Mahler: le décès de Maria, leur fille de quatre ans, la démission forcée de l’Opéra de Vienne, la maladie de Mahler. C’est une œuvre incroyablement personnelle, l’une des plus construites et plus narratives du compositeur. Litton exploite les richesses harmoniques et rythmiques de l’œuvre, dans tout des tempi parfois rapides qui induisent la vivacité. Geste précis, écoute de tous les pupitres, le chef n’hésite pas à renforcer quelques accents ou à donner un caractère improvisé aux interventions des vents dans le 3e mouvement. Concentration et précision des percussions qui jouent parfois des coulisses, surprise acoustique garantie! Le violon solo Fernand Iaciu, lyrique et précis, ponctue la symphonique de quelques soli -parfois couverts par les cuivres. Ceux-ci méritent une mention particulière pour leur régularité et leur justesse. Rares sont les orchestres où les vents font montre d’autant d’assurance et de précision pour rendre la puissance désirée par Mahler. Sans baguette, Andrew Litton dirige un Andante lyrique et inspiré. Beaucoup de poésie et de très bons archets.
L’ONL peut être est fier de son travail au moment où il se prépare à partir en juin pour tournée en Chine.
Ayrton Desimpelaere
Lille, Le Nouveau Siècle, le 6 avril 2013