Quand le rock rencontre le classique

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Un article sur un des groupes de rock le plus en vogue du moment dans une revue de musique classique, quel blasphème ! Mais lorsqu’il s’agit du groupe britannique Muse, revoyons vite notre jugement. Car ce trio de musiciens ne cesse de puiser son inspiration chez des compositeurs tels que Rachmaninov, Chopin, Liszt, Tchaïkovski, Saint-Saëns, Berlioz, et la liste est encore longue. Le groupe est actuellement en tournée mondiale pour promouvoir son septième album Drones, sorti le 5 juin 2015. Depuis sa fondation en 1994 et jusqu’à nos jours, le succès de Muse ne cesse de croître. C’est incontestablement dû à la rigueur et au sens profond du travail et du détail qui caractérise le leader du groupe : Matthew Bellamy. Ces qualités, alliées à connaissance pointue de la culture musicale, particulièrement classique, il les doit à son diplôme de piano qu’il obtint avec les félicitations du jury de la Royal Academy of Music de Londres.
Dans leurs précédents albums, les influences classiques sont nombreuses. Il suffit d’écouter des titres comme United States of Eurasia pour comprendre que Chopin ne quitte jamais le cœur d’un pianiste classique, quelles que soient les orientations musicales qu’il prend par la suite. Dans Exogenesis Symphony (titre déjà évocateur, il s’agit d’une symphonie en trois « mouvements »), la proximité entre l’introduction du troisième mouvement et la Sonate au Clair de lune de Beethoven saute aux yeux. Les autres mouvements sont teintés d’accords sonnant à la manière de Liszt. Muse rend également honneur à d’autres compositeurs comme Rachmaninov dans Butterflies Hurricanes et Space Dementia, Massenet dans I belong to you ou encore Elgar dans The mentalist. Les exemples de cette imprégnation se comptent par dizaines, mais peut-on en dire autant du nouvel album Drones ? La réponse est sans conteste affirmative.
Un groupe de rock qui se respecte soigne son entrée en scène et en met tout de suite plein la vue et les oreilles au spectateur. En guise d’introduction aux concerts de cette tournée, Muse sort d’emblée des sentiers battus et diffuse la magistrale Danse des chevaliers de la scène 4 : Le Bal des Capulet du ballet Roméo et Juliette opus 64 de Serge Prokofiev d’après la pièce de Shakespeare. Cette pièce sombre, puissante et en même temps dotée d’une charge émotionnelle considérable est un prélude parfaitement annonciateur de l’univers dans lequel l’auditeur sera plongé tout au long du concert. Prokofiev ne se serait probablement jamais imaginé qu’une de ses œuvres sortirait un jour des baffles surpuissants d’un stade plein à craquer de fans hystériques !
La surprise continue. Le deuxième titre (qui clôture également le concert) semble tout droit sorti d’un recueil de Palestrina. Morceau a capella éponyme de l’album, Drones est très étroitement inspiré par le chant grégorien. Des techniques empruntées à la composition classique ont été utilisées pour sa composition. D’autres morceaux à consonances beaucoup plus rock, voire hard rock, sont également marqués par l’utilisation de thèmes et contre-thèmes, de développements et reprises, ou encore du contrepoint, pourtant propres aux règles de composition classiques.
La suite du concert restera jalonnée de clins d’œil à la musique classique. Ainsi, Matthew Bellamy monte sur scène par une « trappe à apparition » (selon la terminologie théâtrale). Il joue un piano à queue -dont chaque note illumine une partie différente du couvercle- et y suggère ardemment les accords rythmés du début du premier concerto pour piano de Tchaïkovski.
Les moyens scéniques déployés sont colossaux. Brian May, compositeur et guitariste du groupe Queen a décrit le spectacle de Muse comme « un des plus grand live de tous les temps ». Au-delà de cette mégalomanie théâtrale se cachent une profonde sensibilité et une grande intelligence musicale soutenues par une maîtrise technique impressionnante des instruments.
Muse, qui ne s’en cache pas, doit donc beaucoup à la musique classique, particulièrement romantique, qui est pour le groupe une source d’inspiration dominante. Le trio invite l’auditeur à une partie de « cache-cache » avec des œuvres qui ont forgé la culture musicale actuelle et historique. Un mariage réussi entre plusieurs siècles de musique : du grand art ! La tournée se clôture le 19 août 2016.
Louis Noël, Reporter de l’IMEP

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