Rachmaninov, noir c’est noir avec Kirill Petrenko

par

Sergeï Rachmaninov (1873-1943) :  Symphonie nᵒ 2 en mi mineur, op. 27 ; l'Île des morts, Op.29 ;  Concerto pour piano n°2 en Ut Mineur, Op, 18 ; Danses symphoniques, Op.45. Kirill Gerstein, piano  Berliner Philharmoniker, direction : Kirill Petrenko.  2020-2022. Livret en anglais et allemand. 1 coffret de CD et Blu.Ray. BPHR 230461

Venant après un coffret Chostakovitch intéressant mais pas complètement déterminant malgré ses grandes qualités, on attendait avec impatience cette nouvelle parution consacrée à Rachmaninov.  

L’écoute commence avec une lecture personnelle et superlative de la Symphonie n°2 à laquelle le chef d’orchestre impose une noirceur retenue. Point de joliesse ou de puissance gratuitement virtuose dans cette interprétation techniquement brillante mais traversée d’orages et de tumultes. L’un des atouts de cette lecture est d’éviter de transformer cette symphonie en un concerto pour orchestre rutilant. La direction garde la tension tout au long des quatre mouvements mais en veillant à ne jamais épaissir le trait d’une orchestration qui sonne aérée malgré la puissance des pupitres qui ne demanderaient qu’à se lâcher. Le soin aux détails et aux nuances jusqu’aux échanges les plus chambristes dans le mouvement lent est l’un des grands atouts de cette interprétation qui nous fait songer à celles du légendaire Kurt Sanderling (DGG et Erato) qui parvenait aussi à tendre l’arc dramatique dans ce refus du pathos et des effets clinquants. 

On poursuit sur les cîmes, et même encore plus haut, avec une interprétation spectaculaire et magistrale du poème symphonique l'Île des morts. Kirill Petrenko poursuit cette vision tendue des partitions de Rachmaninov avec un dramatisme de tous les instants qui rend la noirceur de cette partition. Le Philharmonique de Berlin est évidemment à son affaire tel un bloc à la fois compact aux dynamiques sidérantes de violences et dont tous les pupitres restent lisibles, magnifiant ainsi les interventions de ses solistes des vents ou la splendeur de ses cordes. Comme dans la Symphonie n°2, la direction de Kirill Petrenko parvient à unifier forme et fond insufflant une puissance bousculée par les houles orchestrales, faisant exploser les climax dans une violence instrumentale saisissante. On imagine le choc de lecture pour les auditeurs de ce concert !    

Capté non pas sur la scène de la Philharmonie mais dans la scène extérieure de Waldbühne, le Concerto n°2 souffre d’une prise de son qui ne peut masquer son origine de plein air. Malgré tous les efforts de l’équipe technique, l’image manque de précision et de richesse des timbres. C’est d’autant plus dommage que Kirill Petrenko et Kirill Gerstein sont au diapason d’une lecture conquérante mais également marquée par une pâte très contrôlée vers un refus des effets de manche. 

En conclusion les Danses symphoniques décoivent un peu. Plus démonstratives et virtuoses, elles se prêtent moins à la noirceur de la vision du chef. Même si le ton est parfois désabusé et dramatique, il nuit à la motorique naturelle de cette partition pyrotechnique. Les pupitres sont affutés et les individualités sont excellentes, mais il manque à cette lecture l’engagement total de l'île des morts qui vot chef et orchestre fusionner dans une incandescence collective. Les tempi, un peu lent, contribuent sans nul doute à cette impression plus distancée. 

Dès lors, comme pour le coffret Chostakovitch, cette parution est bigarrée partagée entre une première partie portée par une Île des morts d’anthologie avec une formidable Symphonie n°2 et une seconde partie plus mitigée tant pour des raisons techniques qu’interprétatives. 

Son : 6 (Concerto) / 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8-10

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