La mécanique est en marche : Petrenko dirige Chostakovitch à Berlin
Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n°8 en Ut mineur, Op.65 ; Symphonie nᵒ 9 en mi bémol majeur, Op.70 ; Symphonie nᵒ 10 en mi mineur, op. 93. Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko. 2020 et 2021. Livret en allemand et anglais. 2CD et un Blu-ray. 1 coffret Berliner Philharmoniker. BPHR.
2 ans après un premier coffret thématique consacré à ses interprétations au pupitre de son orchestre berlinois, Kirill Petrenko est à nouveau à l’honneur avec un “petit cycle” de 3 symphonies de Chostakovitch. En dépit de la place (démesurée) des œuvres du compositeur russe dans les programmations, le Philharmonique de Berlin n’est pourtant pas la phalange que l’on associe le plus à l’univers de Chostakovitch. Sa discographie est relativement faible numériquement et à part les gravures de la Symphonie n°10 sous la baguette de Herbert von Karajan (DGG), les autres gravures réalisées sous les directions du jeune Semyon Bychkov (Symphonies n°5, n°8 et n°11 pour Philips), Sir Simon Rattle (Symphonies n°1 et n°14 pour Warner), Mariss Jansons (Symphonie n°1 en audio pour Warner et Symphonie n°8 en vidéo pour Euroarts) ne sont pas de grandes références.
Dès lors, on accueille avec curiosité ce set sous la baguette d’un Petrenko qui lui non plus n’a pas encore de nom dans ces œuvres. L'intérêt de la direction est évident car le chef d’origine russe, comme toujours, propose un regard personnel qui cherche une voie. Ici, il tente de conjuguer une approche dramatique creusée et puissante avec une virtuosité instrumentale. A ce titre, la Symphonie n°9 est une immense réussite. La baguette du chef insuffle une tension et une énergie à une masse instrumentale compacte et ultra-virtuose. Les traits solistes se détachent comme des lames d’acier en s’intégrant à une direction énergique et rapide. La prise de son met en avant les teintes mates et tranchantes des pupitres de la phalange allemande. Même si l’on ne retrouve pas l’ironie acide d’un Kitaenko (Capriccio) ou d’un Barshaï (Brillant), on est ici sur les sommets de la discographie de la partition. C’est bien plus impactant que le brillant mais vain concerto pour orchestre déployé par un Andris Nelsons (DGG).
Changement de ton avec une Symphonie n°8 plutôt allante. Petrenko ne recherche pas la noirceur dramatique et les explosions des contrastes. Sa baguette se fait relativement rapide mais sans sacrifier la force dramaturgique. On est ici à l’inverse d’un Tugan Sokhiev (Warner) qui imposait une retenue comme préalable à ce creusement des émotions. Dans les mouvements centraux, le chef déploie la mécanique implacable des pupitres du Berliner Philharmoniker mais sans surjouer les explosions orchestrales ou les sarcasmes des thèmes mélodiques. Décanté et mélodieux, le dernier mouvement semble même s'ouvrir une note d’espoir dans cette œuvre de noires peintures de la Grande Guerre patriotique. Si l’on atteint pas les vertiges d’un Kurt Sanderling (Berlin Classics/ Edel) ou la noirceur d’un Mravinski (BBC Legends ou Melodiya), cette version, très personnelle, est une interprétation à connaître pour tous les amateurs de cette partition.
Nous terminons cette analyse avec la Symphonie n°10 qui est un peu en retrait. Dans le premier mouvement “moderato”, Petrenko semble contenir le geste musical avec une retenue qui en écrête la puissance et l'impact dramaturgique. Le second mouvement, tendu et ultra virtuose, est évidemment un moment d’anthologie avec deux derniers mouvements dont le chef parvient à garder force et unité. Dommage que le premier mouvement tempère la qualité de cette interprétation.
Dès lors, ce coffret est une belle réussite pour une Symphonie n°9 vertigineuse et une Symphonie n°8 très personnelle. Ces interprétations témoignent encore du talent de ce chef qui ne se complaît, ni dans la facilité, ni dans le mainstream interprétatif, mais qui cherche à ouvrir de nouveaux horizons.
Comme de tradition, les coffrets Berliner Philharmoniker sont de grandes réussites : audio en CD et en téléchargement de fichiers HD, vidéo des concerts live à la Philharmonie de Berlin en Blu-Ray avec interview du chef.
Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : note moyenne 9 (Joker pour la Symphonie n°9 / 10 : pour la Symphonie n°8 / 8 pour la Symphonie n°10)