Pour redécouvrir Rachmaninov

par

Rachmaninov par Damien Top
Damien Top, auteur déjà de plusieurs biographies consacrées à des compositeurs célèbres (Roussel) ou confidentiels (Goué, de Castéra), s'attelle ici à un monument. Rachmaninov, en effet, est une valeur sûre de la musique classique, symbolisant son pays dans le monde entier, tout comme son confrère Tchaïkovski. Voilà un livre remarquable et à conseiller sans hésitation. Certes, on y découvre des coquetteries, comme cette orthographe "Rakhmaninov", à laquelle l'auteur semble tenir. Notons que le lecteur aura échappé à Kioui (César Cui) ou Roubinchtein (Anton Rubinstein). Par contre, on rencontrera Skriabine. Peccadilles. L'ouvrage de Top est biographique. Il suit un ordre chronologique strict, entrelacé de quelques analyses d'oeuvres avec exemples musicaux, pas très nombreux hélas. L'auteur maîtrise fort bien la langue française et son livre se lit agréablement grâce à un style soigné et élégant, phénomène plutôt rare dans ce genre pointu. L'on suivra l'éducation musicale du musicien à Moscou et à Saint-Pétersbourg, ainsi que ses premiers succès de pianiste. Le fiasco de la première symphonie (1897), dirigée par un Glazounov ivre et démolie par la critique ("modernisme atroce") sera, après une sévère thérapie, à l'origine du célébrissime deuxième concerto pour piano et de la gloire future du compositeur. Rachmaninov entamera une carrière brillante de chef d'orchestre, trop peu connue. C'est lui qui apprit le rôle de Boris Godounov à Chaliapine. Passionné d'opéra (il en écrira trois, les très beaux Aleko, Le Chevalier ladre et Francesca da Rimini), il abandonne une Salammbô pour une Monna Vanna qui restera inachevée. Nous suivons alors la carrière du compositeur-pianiste, devenu star internationale, à Paris, par exemple, avec Diaghilev. La révolution d'octobre 1917 le conduira à l'exil, à l’itinéraire bien retracé. Epoque de prestations sans fin (946 concerts de 1919 à 1943 !), premiers enregistrements aussi, tournées et voyages à tour de bras. Tout en suivant l'actualité en Union soviétique, Rachmaninov s'y verra interdit puis réhabilité. Il ne retournera jamais en Russie mais vivra aux USA et en Europe, entouré d'amis russes. Réfractaire à l'évolution de la musique de son temps, il s'ouvrira parfois, mais rarement, à certaines influences : "Je me sens comme un fantôme marchant dans un monde qui lui serait devenu étranger. Je ne puis me défaire de l'ancienne manière d'écrire et ne peux acquérir la nouvelle". Damien Top, au gré de nombreux témoignages écrits, approfondit à merveille cette tension ressentie par le “ vieux ” compositeur glorieux. Rachmaninov connaît actuellement un succès considérable : les concertos et l'oeuvre pour piano restent essentiels, bien entendu, mais l'attention se porte aussi vers les opéras, les symphonies et poèmes symphoniques, ou les romances. Voilà pourquoi l'ouvrage de Top vient à son heure : il cadre la place d'un musicien russe ancré sans doute dans un temps passé, mais porteur d'un message qui touche et émeut encore et toujours le mélomane actuel, en Russie et dans le monde entier, par une exceptionnelle écriture pianistique et une invention mélodique géniale. Ce n'est pas là mince gloire. L’auteur ajoute un catalogue des oeuvres, comprenant des inédits non encore répertoriés en Occident, ainsi qu'une discographie sélective. Signalons enfin la riche iconographie, qui permet d'évoquer cette époque révolue, mais ô combien passionnante. Un très bel ouvrage, recommandé avec chaleur.

Bruno Peeters
2013, Bleu Nuit Editeur 2013, 176 p., 20 euros.

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