Ravissante Flûte Enchantée à Paris

par

© Elisa-Haberer/Opéra National de Paris

Quelle bonne idée d'avoir présenté à nouveau à Paris la délicieuse « Flûte enchantée » de Mozart co-produite avec le Festspielhaus de Baden-Baden dans la très belle mise en scène de Robert Carsen ! Vingt ans après sa première réalisation à Aix en Provence, l'approche du metteur en scène canadien a évolué vers une beauté toujours plus harmonieuse, une grâce plus dénudée, un enchantement de tous les sens, une fête de l'intelligence.
Car toutes les perceptions sont sollicitées et tournées vers le « Beau ». Les décors de Michael Levine, ennemis de tout tarabiscotage : on n'oubliera pas de sitôt cette forêt aux couleurs changeantes selon les saisons et où s'enfuient les oiseaux charmeurs à l'approche de l'oiseleur. Ni les costumes, discrets mais efficaces dans leur symbolique théâtrale : du noir ou du blanc pour les héros, dégaine de vagabond pour Papageno, sur fond de pelouse verte creusée de tombes. La fosse d'orchestre est elle-même traitée comme une excavation -vertige de l'abîme mais aussi source de vie : c'est de la fosse que sortent la flûte magique et le glockenspiel ! Par ailleurs, en associant -contrairement au livret- la Reine de la nuit à Sarastro lors de l'initiation, le metteur en scène se réfère à l'idéal baroque de « dire un monde où tous les contraires seraient harmonieusement possibles » mais aussi au profond et immuable désir de pardon proclamé par Mozart dans toutes ses œuvres. L'effacement de la frontière primaire entre les bons et les méchant(e)s déplace ainsi l'enjeu : L'affrontement des forces de l'obscurité et de celles des lumières devient celui beaucoup plus humain de l'acceptation par les jeunes héros de leur destin mortel. Les éléments comiques (esclaves fossoyeurs jouant avec leurs pelles ou poltronnerie de Papageno) ne sont pas délaissés. En revanche, on regrette un peu l'absence de char d'apparat tiré par les six lions de Sarastro, des palmeraies, des pyramides et autres machines volantes car le deuxième acte apparaît comme toujours un peu longuet, mêlant en un syncrétisme peu probant ésotérisme, franc-maçonnerie et christianisme. L'exubérance de Schikaneder devait, à l'époque, mettre en valeur la grandeur hiératique de la partition. Ici, faute de faire-valoir, les nobles sentiments suivent leur trajectoire solitaire tandis que les mouvements de foule aussi souples que stricts animent lentement l'espace scénique en longues théories. Une fois ce moment trop univoque dépassé, on retrouve la joie d'un spectacle admirablement conçu et interprété. L'ample respiration de l'orchestre comme les allusions shakespeariennes (Papageno/Hamlet – rôle fétiche de Shikaneder, qui brandit un crâne ! ou encore la forêt vivante) laissent entrevoir les vastes proportions du Romantisme déjà naissant. Les chanteurs font merveille bien épaulés par un orchestre lumineux et souple, à la fois ardent et coloré que dirige d'une main sûre, efficace et poétique le chef Constantin Trinks. Tous les chanteurs acteurs sont à louer chaudement pour leur engagement poétique, leur retenue (même les Pa-Pa-Pageno/ Papagena dits sans lourdeur par une Elisabeth Schwarz délicieuse et un Edwin Crossley-Mercer épanoui, bien plus à l'aise que chez Rameau, donnant sa toute sa fantaisie lunatique au personnage de Papageno trop souvent tiré vers la lourde pitrerie ). Jane Archibald, comme toutes les Reines aujourd'hui, doit surmonter dans le registre suraigu, le handicap résultant de la hausse du diapason (passé de 417 à ... 444 vibrations, ce qui fait au moins un demi-ton plus haut qu'au XVIIIe siècle!) mais sait incarner une mère digne, sobre et précise. Les trois dames de la nuit (Andreea Soare, Anna Pennisi, Katharina Magiera) ont des voix bien caractérisées et comme toujours, le trio des trois jeunes garçons (Solistes d'Aurelius Sängerknaben) emporte tous les cœurs. Mauro Peter, Tamino aux beaux moyens naturels forme un couple superbe avec la sensible et émouvante Pamina incarnée par Jacquelyn Wagner. Si les notes graves de Sarastro flottent parfois dans une zone indéterminée, sa belle prestance et sa musicalité concourent à l'équilibre général tout comme l'inquiétant Monostatos (Rodolphe Briand), l'Officiant (Roman Trekel) et les Hommes d'armes (Eric huchet, Kakhaber Shavidze). Belle vidéo de Martin Eidenberger et excellents chœurs préparés par José Luis Basso.
Un enchantement toujours renouvelé !
Bénédicte Palaux Simonnet
Paris, Opéra National, le 20 avril 2015

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