Sean Shibe et sa guitare céleste

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Le label Rising star, comme toute bonne étiquette, décrit, définit, circonscrit, et attire un public qui accepte un risque (mesuré), celui de découvrir un interprète repéré pour son talent, au travers d’un programme construit sur mesure, additionnant parfois un assortiment inhabituel d’esthétiques : s’il plonge ses deux mains dans l’époque contemporaine, Sean Shibe, jeune, écossais né à Edimbourg en 1992 et BBC New Generation Artist, se nourrit aussi de l’histoire de la musique, du 11ème siècle à aujourd’hui, en passant par la période baroque, pour créer les « sculptures sonores » qu’il aime offrir à ses publics.

Shibe, qui fait la différence entre influence (le goût de l’exploration du guitariste anglais Julian Bream) et inspiration (Robert Fripp, Jimi Hendrix), propose un concert en deux parties -la première à la guitare acoustique, la seconde à la guitare électrique-, fait de pièces qu’il assemble selon les affinités qu’il ressent (et note dans ses carnets), attentif aux liens entre elles, parfois évidents, comme ceux (de symétrie, notamment) entre Johann Sebastian Bach (1685-1750) et Steve Reich (1936), parfois moins directs, comme ceux entre Hildegard von Bingen (1098-1179) et Olivier Messiaen (1908-1992).

A la mélancolie mi-aigre mi-douce de la courte Sérénade pour guitare de Sofia Gubaidulina (1931-), écrite par la compositrice tatare tôt dans son parcours et qui fait ici office de prélude, succède le lyrisme du guitariste paraguayen Agustín Barrios Mangoré (1885–1944), dans lequel Shibe, les yeux fermés, s’immerge, avant se lancer dans un arrangement personnel du Prélude, Fugue et Allegro, écrit à l’origine par Bach, l’esprit alors tourné vers la pensée chrétienne, pour luth ou clavecin, point culminant du fil rouge céleste que suit ce soir le guitariste – dont les Forgotten Dances du compositeur britannique Thomas Adès (1971-) sont peut-être l’exception qui confirme la règle.

Dans ces six pièces, autonomes en même temps que liées dans une exploration systématique des différentes branches d’un carrefour en étoile, Shibe donne la pleine mesure de son talent pour une œuvre nouvelle qu’il décrit comme une des plus stimulantes, vibrantes et substantielles à s’approprier : son jeu se fait élastique pour Queen of the Spiders, évocateur pour The Paradise of Thebes, rapide et expressif pour Here was a Swift (for Max Ernst), fantomatique pour The Maiden Voyage, oppressant pour Carillon de Ville (for Hector Berlioz), délicat pour Vesper (for Henry Purcell).

J’ai une préférence pour la deuxième partie du concert, où règne la guitare électrique et qui débute par un arrangement séduisant du O choruscans lux stellarum de von Bingen, suivi du O sacrum convivium de Messiaen – auquel Shibe donne l’espace nécessaire par l’utilisation, judicieuse et parcimonieuse de ses pédales d’effets (sustain, réverbération).

Steve Reich compose Electric Counterpoint en 1987 pour le guitariste Pat Metheny, troisième morceau d’une série, avec Vermont Counterpoint pour flûte et New York Counterpoint pour clarinette, où le soliste joue contre (avec) lui-même, via une bande préenregistrée – jusqu’à dix guitares et deux parties de basse électrique pour Electric… : un canon à huit voix pour la première partie, à neuf (sur un tempo réduit de moitié) pour la seconde et à quatre pour la dernière, revenue à la rapidité du début. Bluffant.

Comme l’est la partition, énigmatique, du Buddha de Julius Eastman (1940–1990) : pas d’indication d’instrumentation, de longueur, tempo ou volume – ni même de sens de lecture –, la chose se présente sous la forme d’un œuf à trois coquilles entourant un vitellus noté, que Shibe choisit de suivre à l’horizontale en se concentrant sur les quelques points critiques – une réussite, que complète le bis, Canço N° 6, de Federico Mompou (1893-1987), arrangé pour guitare acoustique.

Luxembourg, Philharmonie, Salle de Musique de Chambre, le 27 février 2024

Bernard Vincken

Crédits photographiques : Philharmonie Luxembourg / Eric Devillet

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