Solti, portrait londonien 

par

Solti. London. The Orchestral Recordings. London Philharmonic Orchestra, London Symphony Orchestra, Orchestra of the Royal Opera House Covent Garden, Chamber Orchestra of Europe, English Chamber Orchestra, Chicago Symphony Orchestra, direction : Sir Georg Solti. 1949-1991. Livret en anglais, allemand et français. 1 coffret de 36 CD Decca. Référence 485 1717.

Decca remet en coffret les enregistrements londoniens de Sir Georg Solti. Dans l'imaginaire collectif, le maestro reste lié à l’orchestre symphonique de Chicago et au Philharmonique de Vienne avec lesquels il a gravé tant de disques majeurs à la fois symphoniques et lyriques. Pourtant, Londres reste un port d’attache majeur dans sa carrière. Naturalisé britannique en 1972 et anobli par la Reine d’Angleterre, il a occupé des mandats auprès des grandes institutions de la ville : directeur musical du Royal Opera House et premier chef invité puis chef principal du London Philharmonic (LPO) tout en étant un invité régulier du London Symphony Orchestra (LSO) tant pour des concerts, des enregistrements ou des tournées. Il faut dire que le style brillant et galvanisant du chef était taillé sur mesure pour le style de jeu virtuose et le brio naturel des pupitres des phalanges anglaises qui adorent ce type de chef capable de les vitaminer comme jamais.   

Ce gros coffret couvre une large période de 1949 à 1991 et documente le chef autant dans son cœur de répertoire (Bartók, Liszt, Mahler, Kodály) que dans des œuvres inattendues sous sa baguette.   

Avec Béla Bartók, la mécanique Solti est à l'œuvre avec un sens du rythme et des couleurs mis en avant par une direction tant précise qu’anguleuse qui fait ressortir la modernité de l'œuvre du Hongrois. N’oublions pas que Solti avait été l’élève du compositeur bénéficiant des conseils uniques. Dès 1953, Solti est au pupitre du LPO pour deux des partitions les plus délicates du compositeur : la Musique pour cordes percussions et célesta ainsi que la Suite de danses. On le retrouve dix ans plus tard et en stéréo avec le LSO pour des deux mêmes œuvres complétées de la suite de Mandarin merveilleux et du Concerto pour orchestre. Bien évidemment le brio de la direction et la puissance démoniaque des pupitres font de ces interprétations des musts, même si Solti ira encore plus loin dans la perfection instrumentale à Chicago. Du côté Bartók concertant, le chef et le LPO accompagnent la violoniste Kyung Wha Chung dans le Concerto n°2 et le pianiste Vladimir Ashkenazy dans l’intégrale des concertos. Superbement enregistrées, ces gravures restent encore des piliers de la discographie. Avec ce même London Philharmonic, Solti laisse sa seule version de l’opéra le Château de Barbe-Bleue avec un duo hongrois : l’imposante basse Kolos Kováts et la délicate soprano Sylvia Sass. Il s'agit d’une bande son d’un film d’opéra de Miklós Szinetár. Si le film (visible sur Youtube) a terriblement vieilli, la bande audio est exceptionnelle et on peine à comprendre que cet enregistrement n’a jamais été considéré comme une référence.     

De Liszt, on savoure quelques poèmes symphoniques emportés au panache avec une fougue romantique inégalée : Les Préludes, Prométhée et Bruits de fête ainsi qu’une Wanderer-Fantaisie dans l’arrangement orchestral de Liszt avec Jorge Bolet au piano. Virtuose passionné, le pianiste chilien trouve en Solti un partenaire idéal pour une lecture vitaminée et colorée plus rhapsodique et dansante de schubertienne. Kodály est également un autre compositeur d’excellence du chef hongrois tant la virtuosité brute et le sens du rythme sont prépondérants  : deux qualités de Georg Solti. On retrouve ainsi la suite tirée de Háry János, les Danses de Galánta, les Variations sur le thème du Paon ainsi que le Psaume Hongrois (mais dans une traduction anglaise). 

Chef d’une génération d’avant les pionniers de la révolution des interprétations sur Instruments d’époque, Georg Solti pratiquait Haydn avec une assiduité et une conviction assez unique. Ici encore, son sens du rythme et des couleurs s’adaptent à cette esthétique musicale. Certes, un Bernstein parvenait à aller plus loin dans les dynamiques et dans l’énergie, mais Solti est à écouter. Son Haydn n’est jamais lourd et il s’avère très finement musical avec des “Adagios” et des “Menuets” toujours très chantants alors que les “Allegros” et les “Prestos” fusent comme des missiles. Si, on peut un peu oublier le set enregistré (symphonies n°100, n°102 et n°103) avec le LPO entre 1949 et 1954, on préfèrera les 12 symphonies gravées dans les années 1980 avec cette même phalange d’autant plus que les musiciens sont exceptionnels et que la prise de son est superbe de timbre et de restitution. Si Bernstein reste la référence pour les chefs de cette époque, Solti est à connaître car infiniment plus pertinent qu’un Karajan. 

Si Solti a gravé tant de versions majeures des opéras de Mozart, ses gravures symphoniques sont rarement citées comme des références. Pourtant on avoue adorer la gravure des symphonies n°25 et n°38 immortalisées en 1954 avec le LSO. La délicate symphonie n°25 est un modèle tant de transparence que de motorique. 

Mahlérien de la première heure, Georg Solti a, comme Leonard Bernstein, particulièrement œuvré à la diffusion des symphonies de Gustav Mahler. A la fin des années 1960, il est au pupitre du London Symphony Orchestra pour les enregistrements des symphonies n°1 à n°3 et n°9. Il s’agira des premiers jalons d’une intégrale qui se complètera à Amsterdam (symphonie n°4) et à Chicago (symphonies n°5 à n°8). Dans ces années 1960, le LSO est certainement l’un des orchestres les plus affûtés pour affronter ces monuments symphoniques. La formation avait déjà abordé Mahler, en particulier sous la direction de Jasha Horenstein, Rudolf Schwartz, Leopold Ludwig ou encore Adrian Boult. Magnifié par un son Decca d’exception, elle livre des interprétations magistrales des symphonies n°2 et n°9 avec un fini instrumental qui est, pour cette époque, exceptionnel. On avoue moins accrocher aux symphonies n°1 et n°3, moins fluides et inégales en matière de tension dramatique. 

Du côté des chemins de traverses de Solti, on note des grandes oeuvres de la musique anglaise avec le LPO à commencer par des partitions d’Edward Elgar : symphonies n°1 et n°2, Ouverture Cockaigne, Falstaff, In the South, le concerto pour violon (avec  Kyung Wha Chung),  les célèbres marches militaires  Pomp and Circumstance et l’arrangement très victorien et grandiloquent de l’hymne national britannique. La vision de Solti est fondamentalement passionnante, on sait que le chef avait écouté avec attention les enregistrements du compositeur dont il avait noté les tempi fermes à l’opposé d’une autre école d’interprétation qui insiste plus sur l’architecture des partitions en travaillant les contrastes avec une certaine lenteur. Le chef hongrois tient fermement la barre dans des lectures portées par un souffle qui tire sa sève dans Berlioz, Liszt et surtout Strauss. C’est absolument brillant car peu de chefs ont défendu cette optique instrumentale. Au rang des immenses réussites, il faut noter une lecture In the South portée au paroxysme d’une virtuosité orchestrale ou un Falstaff à la narration épique et superbe. Pour compléter ce panorama Elgar, Decca ajoute la belle gravure des Variations Enigma avec le Chicago Symphony Orchestra. Les Planètes de Gustav Holst sont taillées pour la direction pétaradante de Solti et on peut se sustenter d’une lecture au son démonstratif. Certes, le chef est un peu précipité, mais c’est comme toujours une direction colorée et puissamment cursive qui cherche des liens avec la science orchestrale et le ton épique d’un Richard Strauss. Dans le registre démonstratif anglais, on note le Te Deum du Couronnement et le Festin de Balthazar de Walton, de la musique en technicolor et spectaculaire servie de main de maître.  

Stravinskien émérite, Solti n’a enregistré à Londres qu’un Oedipe roi, rarement réédité. Certes le narrateur est en anglais, mais cette gravure mérite une attention pour le brio orchestral et choral avec une solide distribution menée par Peter Pears en Oedipe 

Formé comme répétiteur dans des maisons d’opéra tout en gravissant les marches peu à peu, à l’image de tous les chefs de cette époque, Solti avait fait ses classes tant au contact des chefs d'œuvres que des pires pensums sans oublier les opérettes. Dès lors, comment s’étonner du brio avec lequel il dirige le ballet du Faust de Gounod ou Gaité parisienne de Manuel Rosenthal d’après Offenbach avec l’orchestre du Royal Opera House de Covent-Garden. Certes, c’est chorégraphié à la pointe sèche, mais le maestro évite le mauvais goût et la matière grasse rédhibitoire. 

Du côté des chemins de traverses, on retrouve quelques ouvertures de Verdi et de Rossini ainsi qu'un album russe de parade. Dans les ouvertures italiennes, certes cela pétille un peu rythmique, mais en chef d’opéra virtuose, Solti sait en extraire la vitalité et la sève. Du côté des Russes, Borodine, Glinka et Moussorgski sont servis par une virtuosité technique étincelante sans oublier une prise de son démonstrative. 

On retrouve également dans ce plantureux coffret quelques gravures concertantes souvent négligées. Nous commençons cette évocation avec un incroyable Concerto n°2 de Rachmaninov (seule gravure de Solti dans une œuvre du compositeur russe) en compagnie de Julius Katchen. C’est une gravure pour celles et ceux qui détestent les lectures sirupeuses de mauvais goût tant ce tandem se plaît à recentrer la lecture  sur la musique pure ! On aime aussi les concertos n°24 à n°27 de Mozart avec la grande Alicia de Larrocha et  Chamber Orchestra of Europe mais on est plus réservé sur l'esthétisme distant du concerto pour violon de Beethoven avec le grand Misha Elman. Enfin, on garde pour la fin, un sympathique album de parade avec le concerto pour deux piano de Mozart avec Daniel Barenboim et dirigé du clavier par Solti en personne aux commandes de l’English Chamber Orchestra et le concerto pour 3 pianos avec András Schiff en renfort. 

Dès lors, ce coffret sans la moindre faiblesse est un must tant pour les amoureux de l ‘art de la direction que les hifistes exigeants qui pourront se satisfaire des prises de son Decca.   

 Son : 8 à 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot

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