Stravinsky multiples
Igor Stravinsky (1882-1971) : Concerto pour violon en Ré majeur K.053 ; Scherzo à la Russe, K.070 ; Suite n°1 K.045 ; Suite n°2 K.038 ; Apollon Musagète K.048. James Ehnes, violon ; BBC Philharmonic Orchestra, direction Sir Andrew Davis. 2023. Livret en anglais, allemand et français. CHSA 5340.
Nous avions particulièrement aimé le précédent volume Stravinsky de la collaboration entre le BBC Philharmonic Orchestra et Sir Andrew Davis. Dès lors, on se réjouit d’écouter ce nouvel album qui présente de nombreuses facettes du compositeur avec en prime la présence du magistral James Ehnes dans le Concerto pour violon.
Le présent programme, que le booklet place sous le titre de néo-classique, fait un peu fourre-tout de compositions des années 1920 à 1940 qui malgré le préfixe “néo” tirent un peu dans tous les sens : l’esprit baroque revisité du Concerto pour violon, le feu d’artifice pyrotechnique et humoristique du Scherzo à la Russe et des Suites n°1 et n°2 ou le hiératisme esthétique et froid d’Apollon Musagète.
Le programme commence avec une lecture magistrale du Concerto pour violon que James Ehnes et Sir Andrew Davis dynamitent dans une optique qui se joue du sérieux et du second degré. Les artistes jouent d'un registre d’entre-deux d’un Stravinsky conscient d’une révérence aux formes du passé, mais qui se plaît à jouer avec ce modèle. Soliste et chef s’amusent des nuances, des inflexions, des cassures avec une plénitude sonore absolument fabuleuse. C’est du Stravinsky coloriste et brillant mais jamais brutal ou précipité : la technique vertigineuse de James Ehnes lui ouvre toutes les options narratives et suggestives possibles alors que Sir Andrew Davis avec la complicité du BBC Philharmonic dont les pupitres rivalisent d'engagement et de précision, s'amuse à ciseler. C’est assurément l’une des grandes lectures de la partition !
Changement de ton avec le Scherzo à la Russe et des Suites n°1 et n°2, on évolue dans le pastiche et l'humour avec un flegme tout britannique. La direction de Sir Andrew Davis n’a pas à forcer le trait avec des musiciens géniaux, tantôt goguenards, tantôt rigolards dans une sorte de transe collective toujours maîtrisée.
Après ce shoot de tonus, on passe sans transition au ballet Apollon Musagète, sorte d’ovni musical par sa plastique tirée au cordeau tel un modèle glacé et distancé. Il faut un temps pour s’y faire tant le passage entre les tons est un peu brutal. Sir Andrew Davis dirige avec influx, respectant la narration du ballet, au pupitre des cordes fabuleuses du BBC Phil sans jamais verser dans le narcissisme, défaut jamais loin dans cette partition. Cette très belle lecture n’empêche pas une certaine distance (ennui oserait-on dire...) propre à cette oeuvre très surfaite...
Encore une fois, il faut saluer la prise de son Chandos : un festival de couleurs et de précision qui nous place au plus près des musiciens.
Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 9/10 – Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot