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A la Scala de Milan, un Boris Godounov à demi réussi 

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Depuis plus de vingt ans, c’est-à-dire depuis avril 2002 quand Valery Gergiev dirigeait sa production du Théâtre Mariinsky, la Scala de Milan n’a pas repris Boris Godounov. En premier lieu, il faut relever que depuis janvier 1909, les vingt-cinq productions données sur cette scène ont eu recours à la seconde version de l’ouvrage datant de 1874 et incluant l’acte polonais.

Donc, pour la première fois, Riccardo Chailly et le metteur en scène Kasper Holten optent pour la première mouture de 1869 comportant sept tableaux orchestrés par Moussorgsky lui-même, ce qui révèle l’audace innovatrice d’une écriture qu’aseptisera la réorchestration de Rimsky Korsakov, afin que l’ouvrage paraisse jouable sur n’importe quelle scène. Mais heureusement, par honnêteté intellectuelle, elle a laissé intact le manuscrit original.

La production de Kasper Holten est centrée sur les thèmes de la conscience, du pouvoir, de la manipulation, de la censure et de la vérité. L’on sait que la tragédie de Pouchkine s’est inspirée de Shakespeare, de diverses de ses tragédies dont Macbeth et que l’époque où oeuvra le dramaturge est celle où vécut le véritable Boris Godounov. Dès le prologue, apparaît le moine Pimène en tant que chroniqueur et témoin de la vérité historique. Le drame se joue donc à l’intérieur de sa narration. C’est pourquoi le décor d’Es Devlin consiste en un gigantesque parchemin qui est déroulé jusqu’aux cintres en prenant appui sur un arrière-plan accumulant nombre de cartes géographiques. S’y entremêlent les événements du passé, du présent et du futur, ce qui justifie que, sous les éclairages habiles de Jonas Bogh, les costumes d’Ida Marie Ellekilde mélangent les époques en se référant au XVIe siècle des faits réels, au XIXe de Pouchkine et à notre époque, dans le but de montrer la pérennité du mythe. Continuellement, le spectre de Dimitri, le tsarévitch assassiné par les sbires de Boris, suit les pas de son meurtrier en côtoyant ses enfants auxquels il prédit leur futur (Féodor sera égorgé, sa sœur Xenia sera violentée). Et le fait se concrétisera avec les corps d’adolescents massacrés que le peuple présentera au tsar devant Saint-Basile. 

La Dame de Pique  et Adriana Lecouvreur à La Scala de Milan

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Quel théâtre en Europe peut-il afficher, durant un week-end, Adriana Lecouvreur le samedi soir et La Dame de Pique  le dimanche en matinée ? C’est donc  la gageure que relève fréquemment la Scala de Milan. Indépendamment  des productions, il faut  en évoquer une constante, la qualité irréprochable de l’orchestre et du chœur.

Depuis l’après-guerre, Adriana Lecouvreur a été représentée trois fois entre septembre 1948 et juillet 1958 en confiant le rôle-titre à Mafalda Favero, Renata Tebaldi, Clara Petrella et Magda Olivero. Puis pendant trente ans, l’ouvrage a été laissé de côté. Et il a fallu attendre le 30 mai 1989 pour le voir réapparaître dans une nouvelle production de Lamberto Puggelli qui a eu pour interprètes majeures Mirella Freni et Daniela Dessì jusqu’à la fin avril 2007. Quinze ans plus tard, Dominique Meyer, l’actuel surintendant, présente la mise en scène de David McVicar qu’il a coproduit avec le Royal Opera House Covent Garden, le Liceu de Barcelone, la Staatsoper de Vienne, l’Opéra National de Paris et le San Francisco Opera ; et ce spectacle a déjà été  immortalisé  par un DVD réalisé lors des représentations londoniennes avec Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann. 

Il suffit de quelques lignes pour en remarquer l’intelligente conception dans un magnifique décor de Charles Edwards nous montrant l’envers du plateau de la Comédie-Française et la fourmilière des coulisses. Sa structure amovible servira ensuite de porte d’accès au Pavillon de la Grange-Batelière puis dominera la salle des fêtes du Palais Bouillon avant de revenir à sa position initiale, près de laquelle sera dressée une paillasse de fortune permettant à l’héroïne de s’isoler du monde extérieur. Sous d’habiles jeux de lumière conçus par Adam Silverman et repris par Marco Filibeck, les somptueux costumes de Brigitte Reiffenstuel jouent sur les brocards sombres de l’aristocratie contrastant avec les tenues pastel  d’Adriana et la bigarrure des vêtements de scène. Le côté nunuche du divertissement de l’acte III fait sourire par sa chorégraphie compassée (imaginée par Andrew George) qui passe totalement inaperçue. Et la régie de David McVicar déroule avec une rare lisibilité une intrigue enchevêtrée par les quiproquos et les faux-semblants.