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Weber, le romantisme des imaginaires

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"Weber vint au monde pour écrire le Freischütz”. Cette formule à l’emporte-pièce représente la contribution de Hans Pfitzner au Dictionnaire des Idées reçues. Elle condamne à l’oubli une œuvre immense et d’une diversité étonnante (un peu plus de 300 numéros au catalogue Jahn, le “Köchel” de Weber), dont la perfection racée et désinvolte excita l’admiration tout de même plus clairvoyante de Stravinski, au point de l’amener à qualifier Weber de “Prince des Musiciens”: son Capriccio pour piano et orchestre de 1929 est un hommage explicite. 

Parmi les maîtres de la première grande génération romantique, Weber occupe une position bien particulière, et son apport est aussi original qu’irremplaçable. Il est bon de rappeler tout d’abord le fait que, né seize ans seulement après Beethoven, il le précéda cependant d’un an dans la tombe, et qu’ils sont donc contemporains, artistiquement parlant. Schubert serait alors le troisième membre de cette première génération, dont les Berlioz, Mendelssohn, Schumann, Chopin et Liszt prendront la relève à partir de 1830 (Mendelssohn seul ayant pris les devants, car enfant prodige). 

Si Weber se situe ainsi chronologiquement à l’orée du romantisme naissant, il participe encore du classicisme par bien des liens, tant matériels qu’ataviques. N’était-il pas le cousin germain de Constance Weber, épouse Mozart, parenté dont il n’était pas peu fier? Et ne reçut-il pas une part essentielle de sa formation à Salzbourg, auprès de ce Michael Haydn, frère cadet du grand Joseph, et dont l’influence sur Mozart fut décisive? Certes, avec le Freischütz, d’ailleurs préparé par bien d’autres pages moins connues, Weber introduisait dans les salles d’opéra et de concert le grand souffle embaumé de la forêt allemande. Certes, il sut le tout premier incarner les voix de la nature par la mélodie d’un cor ou d’une clarinette. Certes, c’est avec Euryanthe, avec Obéron, avec le “scénario” du Konzertstück pour piano et orchestre, que la musique s’annexa l’évocation du monde de la chevalerie médiévale, qui fut à la même époque le thème préféré du roman “gothique” anglais, Walter Scott en tête, et du romantisme littéraire de la France de Charles X. Et la noblesse piaffante, le généreux panache de tant de jaillissants Allegros weberiens ne se peuvent mieux définir qu’à l’aide de l’épithète “chevaleresque”. Il reste néanmoins que ce maître paysagiste en musique, ce virtuose de la couleur instrumentale et harmonique, demeura sa vie durant fidèle à une conception classique, mozartienne de son art. Lui qui, à l’issue de l'  audition de la Septième symphonie de Beethoven, déclarait, horrifié, qu’il fallait “enfermer son auteur aux Petites-Maisons”, écrivait quelques années plus tard cette merveilleuse profession de foi esthétique, qui définit parfaitement sa position de Classique du Romantisme : “Par concentration, j’entends la brièveté, le resserrement, tant de la forme entière que de ses parties constituantes. Et l’on ne peut y parvenir qu’en exerçant un contrôle très sévère sur les éléments les plus infimes comme sur les plus grands. S’il faut veiller à ce qu’aucune faiblesse ne s’infiltre dans le moindre motif, il faut naturellement éviter davantage encore que tout un motif plus faible ou plus terne n’apparaisse dans le cadre de la grande forme, car ainsi la précision et le relief se perdraient, le sentiment serait détruit et l’effet affaibli d’autant. En tenant compte de ces exigences, on gagne au contraire la vérité de l’expression et la forme concise, ce qui est certes déjà beaucoup. Mais il est aussi important de savoir comment on énonce une vérité: de manière plus terne, ou plus vivante, ou plus énergique. Oui, il faut que s’y ajoute l’énergie de l’expression...”. 

A cette énergie de l’expression, l’éclat instrumental peut contribuer de manière décisive, et si le romantisme de la nature ou de l’histoire représente l’un des grands pôles de la création weberienne, la virtuosité instrumentale représente l’autre. Elle se manifeste tout d’abord au piano. Weber, doté de mains gigantesques, était l’un des plus grands pianistes virtuoses de son temps et sa production, tant pour piano seul qu’avec orchestre (trois Concertos, dont le Konzertstück est le dernier) annonce fréquemment Liszt du point de vue de l’écriture instrumentale. D’autre part, Weber possède en commun avec Mozart une prédilection pour les instruments à vent, dont il sut admirablement solliciter toutes les ressources techniques et expressives. C’est dans ses pages concertantes pour clarinette, cor ou basson avec orchestre que s’effectue la plus heureuse rencontre entre les deux Weber, le Romantique et le Virtuose. Si une place privilégiée revient à la clarinette, ce fut suite à une amitié qui le lia dès 1811 au clarinettiste de la Chapelle royale de Munich, Heinrich Bärmann, qui fut à Weber ce qu’Anton Stadler avait été à Mozart et ce que Richard Mühlfeld sera à Brahms.

Dossier Haydn (II) : le temps des triomphes

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Crescendo Magazine poursuit la mise en ligne des dossiers publiés dans ses anciennes éditions. Vous pouvez découvrir cette semaine la seconde étape de notre dossier Haydn avec un article qui avait été rédigé par Bernadette Beyne, co-fondatrice de notre média.  

  • La Vienne de Haydn et de Beethoven

On ne sait si c'est lors de son voyage aller ou de son voyage retour que Ludwig van Beethoven présenta à Haydn une Cantate, probablement sa Cantate sur la mort de Joseph II (mars 1790), qui encouragea le jeune compositeur à poursuivre ses études. Beethoven arrive à Vienne aux environs du 10 novembre pour travailler avec Haydn, quelques mois en principe, aux frais du Prince Electeur de Bonn. On a beaucoup glosé sur les relations houleuses entre "Le Maure" et "Papa Haydn". Dans son ouvrage, Marc Vignal s'attache à remettre les pendules à l'heure, tant du point de vue des relations que du "Papa". L'auteur nous explique, lettres et témoignages à l'appui, que les prétendues dissensions sont dues à la personnalité de Beehoven plus qu'à un reniement de son maître de composition. Lorsqu'il se rendait chez le Maître, il ne manquait pas de s'attarder dans son atelier et de l'observer à l'œuvre ; il ne manquait pas non plus d'en recopier des pages. Avec Haydn, il étudiait le Gradus ad Parnassum de Fux -sous la direction de qui il avait chanté dans les choeurs à la Cathédrale Saint-Etienne-, et les traités de Mattheson et Kirnberger, remaniés, modernisés, usés de sa main, ou s'adonnait à la composition libre. Pour le contrepoint et la fugue, Haydn le confia à Albrechtsberger, comme il l'avait fait avec d'autres élèves. Mais Beethoven est farouchement indépendant ; il lui est difficile de reconnaître un maître ou d'éprouver quelque sentiment de subordination. Leur relation est en tous cas ambigüe de la part de Beethoven mais faite de confiance de la part de Haydn. Elles se tendirent après le succès de La Création et des Saisons. Après le second séjour de Haydn à Londres (1795), les relations "commencèrent à devenir la confrontation de deux compositeurs de 38 ans de différence d'âge évoluant avec le même statut dans le même milieu". 

Quant au "Papa", il tient plus à la générosité et au plaisir de donner de l'homme âgé qu'à une sourde sénilité. 

Moisson de printemps des éditions Henle.

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Les éditions Henle proposent quelques belles nouveautés. En tête d’affiche, il faut placer une superbe édition du Quintette avec piano de César Franck, réalisée sous la houlette de Ernst-Günter Heinemann et de Klaus Schilde pour le doigté des parties de piano. On apprécie la qualité de l’introduction de Ernst-Günter Heinemann qui nous rappelle que ce chef d’oeuvre, même s’il ne s’est pas imposé au répertoire régulier des ensembles de musique de chambre, n’en reste pas moins une merveille qui mérite d’être encore plus diffusée. La qualité de cette nouvelle édition, qui ravira les passionnés de l’oeuvre, devrait servir sa notoriété.

César Franck, Klavierquintett f-moll, G.Henle Verlag, ISMN : 979-0-2018-1142-0