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Ernest Chausson, c'est beaucoup plus que Chausson

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Dans le cadre de la mise en ligne des articles publiés dans les versions papiers de Crescendo, notre média vous propose ce texte rédigé par Jean Gallois.

Pour reprendre une formule éculée mais assez significative cependant, "Chausson, c'est beaucoup plus que Chausson". En l'auteur du Roi Arthus se révèle en effet un homme multiple, attachant, sincère, à la fois poète, peintre et musicien. Mais il y a aussi une âme ardente, qui doute -même de ses doutes- qui cherche et se cherche à travers un mysticisme réservé quoique dévorant ("Cette parole, qui me la dira?" lit-on dans le Journal de 1892, comme un écho à la demande du centurion romain...). Il y a enfin un compositeur qu'il ne suffit plus, aujourd'hui, de "situer entre Franck et Debussy" (c'est un peu facile...) mais qui -on s'en aperçoit à l'étude approfondie de ses œuvres- possède une personnalité riche, féconde, malheureusement entravée par la hantise -si noble- de l'Absolu, tout comme par la brièveté de sa vie créatrice : moins de vingt ans. Si Wagner était mort à quarante-quatre ans, irions-nous à Bayreuth?

Né en 1855, Ernest Chausson était timide, ne se sentant bien qu'au milieu de sa famille et de ses amis. Une timidité venue de l'enfance peut-être, puisque ses deux frères aînés moururent très jeunes. Père exigeant, mère possessive, pas de gamins de son âge pour jouer puisqu'on le confie à un précepteur : Chausson n'a point connu "le vert paradis des amours enfantines". Il en restera marqué : "Je n'ai point de frère, point d'amis" -sauf ceux de ses parents, regrette-t-il en 1875 (dans son Journal). De là ce sérieux qui le marque avant l'âge ; de là cette réserve qu'il observera toute sa vie : à Maurice Denis, auquel le lie une profonde amitié, il décommande un rendez-vous parce que Colonne joue "quelque chose de [lui]" -ce quelque chose, c'est le Poème, donné en "première" parisienne par Ysaÿe. 

Ernest Chausson et la Belgique

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Second texte que Jean Gallois, biographe du compositeur, avait consacré à Ernest Chausson : nous explorons dans cet écrit les liens entre le musicien et notre pays.

"Jamais je n'ai eu un tel succès" écrit Chausson dans son Journal intime, à la date du 26 février 1892, quelques heures après la création de son Concert opus 21. "Exécution très bonne, par moments admirable, et toujours si artistique ! Je me sens léger et joyeux comme il ne m'est arrivé de l'être depuis longtemps. Cela me fait du bien et me donne du courage. Il me semble que je travaillerai avec plus de confiance à l'avenir".

Ainsi, c'est la Belgique qui lui a offert son premier triomphe. Certes, le mot n'est pas écrit (Chausson était trop modeste pour cela !), mais les témoignages de ses amis concordent : la "première" de l'opus 21 connut bel et bien un triomphe. Il semble même que l'on ait bissé la Sicilienne...

Importante donc, cette soirée. Elle marque une étape, souligne la beauté, l'originalité d'une œuvre consacrée aujourd'hui comme l'une des plus significatives du musicien. Après tant de demi-succès, voire de sourde oreille (ainsi du Trio opus 3, admirable composition pourtant, écrite en 1881 après l'échec au Prix de Rome et qui passa inaperçu lors de la création à la S.N.M., le 8 avril 1882, et dut attendre 1919 pour se voir éditer !); après des années de doute, de "grincherie" devant l'idée rétive ou l'impossibilité passagère de traduire en notes ce qu'il entend intérieurement, Chausson se sent rassuré : désormais -il l'écrit- il travaillera "avec plus de confiance". Le succès a fait office d'anxiolytique. Le prouvent suffisamment les œuvres écrites à partir de cette date et qui montrent une écriture de plus en plus ferme, un style de plus en plus personnel, une invention de plus en plus exigeante.

Et là intervient à nouveau la Belgique -et les amis belges de Chausson: ils sont nombreux. Qu'on en juge. Voici Mathieu Crickboom -à qui le musicien dédiera son ultime partition, le Quatuor à cordes (inachevé) opus 35. Dès 1892, l'auteur de Viviane lui avait soumis "pour avis" le thème principal du célèbre Poème pour violon et orchestre pour voir "si l'on pouvait en tirer quelque chose" (!). Nommé chef d'orchestre à Barcelone, Crickboom organisera trois concerts de musique française et, le 16 novembre 1896, emmena ses invités parisiens ainsi que Ysaÿe et Guidé -brillant hautboïste et professeur au Conservatoire de Bruxelles- à Sitgès, chez le peintre catalan Santiago Rusiñol. Pendant dix heures, Mme Chausson et Granados accompagnèrent l'infatigable Ysaÿe qui, sur le soir, voulut déchiffrer le Poème et fut porté en triomphe par les pêcheurs du coin venus l'écouter en tapinois ! Un mois et demi plus tard, il en assurait la création "officielle" à Nancy (le 27 décembre) puis à Paris (le 4 avril 1897). Après l'avoir promené dans le monde entier, il le fit entendre à Londres, deux jours après les obsèques de Chausson, devant une assistance approchant trois mille personnes informées de la mort du musicien et, de l'avis de tous, en donna la plus sublime, la plus émouvante interprétation.

La modeste discographie de Robert Denzler chez Decca

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Robert Denzler - The Decca Recordings. Hector Berlioz (1803-1869) : Benvenuto Cellini, op. 23 ; Béatrice et Bénédict, op. 27 - ouvertures. Ernest Chausson (1855-1899) : Symphonie en si bémol majeur, op. 20. Arthur Honegger (1892-1955) : Symphonie n° 3, H. 186 « Liturgique » ; Chant de joie, H. 47. Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n° 4 en fa mineur, op. 36. Orchestre de la Suisse Romande, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire de Paris, direction : Robert Denzler. Enregistré entre mai 1954 et novembre 1960 au Victoria Hall, Genève, et à la Maison de la Mutualité, Paris. Édition 2020. Livret en anglais. 1 double CD Decca « Eloquence » 4840262.

Dossier Emmanuel Chabrier : génie ensoleillé et musicien maudit

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Crescendo Magazine vous propose des dossiers qui ont été publiés dans son ancienne version papier. Vous pouvez  découvrir cet ensemble de deux textes consacrés à la figure d'Emmanuel Chabrier (1841-1894),  en introduction à une série consacrée à des compositeurs. Ce dossier publié dans le n°10 de Crescendo Magazine a été réalisé par  Harry Halbreich et Isabelle Handy, sous la coordination de Bernadette Beyne.

En décembre 1877, l'opérette d'un compositeur pratiquement inconnu de 36 ans, l'Etoile, remporte un énorme succès aux Bouffes Parisiens. A l'issue de la 49e représentation, malgré des salles toujours pleines, l'oeuvre quitte l'affiche : on n'ose pas dire au compositeur que le directeur avait conclu un contrat avec les librettistes, selon lequel leurs droits d'auteurs seraient beaucoup plus élevés à partir de la cinquantième...

En 1879, une nouvelle et ravissante opérette du même musicien, Une Education manquée, n'est jouée qu'une fois et ne sera jamais reprise du vivant de l'auteur.

En 1885, celui-ci termine un grand opéra héroïque, Gwendoline, que Paris s'empresse de refuser. Qu'à celà ne tienne, le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles monte l'ouvrage. Très gros succès à l'issue de la première, le 10 avril 1886, mais à l'issue de la seconde, le directeur dépose son bilan...

Nullement découragé, notre compositeur écrit un grand opéra-comique qui restera son chef-d'oeuvre, Le Roi malgré lui. L'Opéra-Comique de Paris accepte l'ouvrage, cette fois-ci sans difficultés, et la première, le 18 mai 1887, est un triomphe. Après la troisième représentation, le théâtre brûle...

Fin 1891, notre musicien achève le premier acte d'un nouvel opéra de grande envergure, Briséis, dans lequel il met tous ses espoirs. Hélas, la maladie le terrasse, il doit déposer la plume, qu'il ne pourra plus reprendre avant sa mort, trois ans plus tard, le 13 septembre 1894 : le chef-d'oeuvre inachevé, aucun théâtre ne pourra le monter.

Cette malchance tenace, une véritable malédiction, semble s'être poursuivie jusqu'à aujourd'hui. Emmanuel Chabrier, puisque c'est de lui qu'il s'agit, demeure le plus méconnu des grands musiciens français.

En 1965, Roland-Manuel préfaçait ainsi la biographie de Chabrier d'Yvonne Tiénot : "L'ombre d'Emmanuel Chabrier n'est pas heureuse. Père nourricier de notre école française, il possède le douloureux mais sensible privilège de s'entendre découvrir tous les 20 ans. Preuve que sa renommée n'est pas à la mesure de son génie ; preuve aussi de sa généreuse, de son inépuisable vitalité."