A Lausanne, une éblouissante Semiramide
En ce mois de février 2022, l’Opéra de Lausanne présente pour deux soirs la dernière opera seria de Rossini, Semiramide, qui fêtera son bicentenaire l’an prochain, puisqu’elle a été créée au Teatro La Fenice de Venise le 3 février 1823. Monumental par ses dimensions puisqu’il comprend quarante numéros avec une introduction de 700 mesures, des récitatifs accompagnés par l’orchestre, six arie, quatre duetti et deux concertati (grands ensembles) pour les finals, l’ouvrage exhibe une vocalità poussée à son paroxysme et prouve que Rossini avait une conception baroque du théâtre lyrique avec un total désintérêt pour l’action proprement dite.
Il est vrai que le libretto de Gaetano Rossi d’après la Sémiramis de Voltaire datant de 1748 accumule les poncifs : la Reine de Babylone, Semiramide, a comploté avec Assur, Prince assyrien, pour faire assassiner le Roi Ninus, son époux, en lui promettant le trône et sa main. Mais éprise d’Arsace, le chef de ses armées, elle fait volte-face en lui octroyant sceptre et anneau conjugal, ce qui provoque l’apparition du spectre du monarque défunt proclamant qu’Arsace règnera après avoir immolé une victime. Par Oroès, le grand-prêtre, le jeune homme apprendra qu’il est le fils de Ninus et de Semiramide. Tandis qu’Assur perd la raison, il se rendra dans la tombe royale, transpercera un corps sans le voir, et découvrira, horrifié, qu’il a tué sa mère. Mais Oroès s’empressera de lui faire ceindre la couronne.
Face à la difficulté de mettre en scène un tel salmigondis, Eric Vigié, le directeur de l’Opéra de Lausanne, décide de braquer les feux sur cette partition durant plus de trois heures en donnant une version en concert agrémentée des projections vidéo de Gianfranco Bianchi qui nous font parcourir le territoire assyrien durant la longue ouverture puis élaborent un intérieur fixe pour chacun des tableaux.
Sur scène, l’Orchestre de Chambre de Lausanne fait montre d’une remarquable cohésion sous la direction de Corrado Rovaris qui tient à bout de bras cette œuvre impressionnante en sachant mettre en valeur l’originalité novatrice de l’orchestration géniale, notamment dans les deux finals. La précision du geste émoustille aussi le remarquable Chœur de l’Opéra de Lausanne préparé magnifiquement par Antonio Greco.
Au niveau des solistes, il faut d’abord évoquer la prestation de la jeune Suissesse Marina Viotti qui s’empare du rôle redoutable d’Arsace que nous révélait Marilyn Horne, il y a un demi-siècle. Dès sa scena d’entrée « Eccomi alfine in Babilonia », elle affiche une technique hors pair de la vocalisation sur une tessiture large de véritable contralto s’étendant du sol dièse grave (sol dièse 2) au si bémol aigu (si bémol 4). Et son expression la rend humaine et émouvante dans les scènes en duetto où elle dialogue avec sa mère. Face à elle, la basse Mirco Palazzi est Assur, son fier antagoniste déjà documenté par le disque après avoir triomphé à Londres, Marseille, Amsterdam et Bordeaux. Il est vrai qu’il nous rappelle le Samuel Ramey des années quatre-vingts par le velours moiré du timbre et l’aisance avec laquelle il déjoue les pièges de la coloratura la plus insidieuse. Légèrement en retrait, la Semiramide de Maria Grazia Schiavo nous met en présence d’un timbre fruité un peu ingrat qui peine à trouver ses marques mais qui s’impose rapidement par une indéniable musicalité qui lui permet de modeler son phrasé avec un aigu ailé et des passaggi ébouriffants. Le ténor argentin Francisco Brito donne une réelle consistance au Prince Idreno par la clarté du timbre et une louable précision dans les ornements. La basse Raphaël Hardmeyer campe un grand-prêtre Oroès statuaire, même s’il lui faut un peu de temps pour stabiliser son aigu, alors que la mezzo Ornella Corvi tente de donner vie au personnage sacrifié d’Azema par la brillance du timbre. Bien tenus les seconds plans, Jean Miannay (Mitrane) et (le fantôme de Ninus). En résumé, une magnifique soirée qui vous tient en haleine malgré sa longueur !
Paul-André Demierre
Lausanne, Opéra, le 6 février 2022