Mots-clé : Jean-Yves Ossonce

Aux Lausannois ! Réservez donc au ‘Cheval Blanc’ ! 

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« La bonne Auberge du Cheval Blanc, séjour aimable et troublant », clament à tue-tête les pensionnaires de l’hôtel tyrolien. Mais à l’Opéra de Lausanne, la mise en scène de Gilles Rico ne leur laisse pas le temps de souffler, tant elle est émoustillante. Le chromo vétuste, si cher à tant de théâtres de province, passe aux oubliettes. Le décor de Bruno de Lavenère nous entraîne dans un lobby somptueux, jouxtant l’escalier lumineux qui conduit à la chambre n.4 avec balcon donnant sur le lac. L’on se voit au ‘Lido’ ou au ‘Paradis-Latin’ voire même aux ‘Folies-Bergère’, ce que nous confirme la cabane aux vaches, peuplée d’une gentry interlope. Mais tout rentre dans l’ordre au moment où est annoncée la venue de l’Empereur qui descend du ciel dans un zeppelin d’apparat. Mais, ô surprise, le potentat usé par les années de règne cache à peine ses penchants douteux en s’entourant de deux malabars à caleçon doré qui lui font mettre perruque de douairière et déshabillé vaporeux, à tel point qu’un Bistagne désarçonné le prendra pour une vieille folle… Les costumes de Karolina Luisoni brillent par la débauche de coloris qui singularise chacun des clients, cultivant l’exagération avec une rare délectation, tandis que les commis en tenue de groom côtoient les femmes de chambre en body provoquant. Et la chorégraphie de Jean-Philippe Guilois, si inventive dans ses clins d’œil, atteint son point fort dans la scène des nageurs se glissant sur des roulettes pour savourer leur béatitude, alors que les lumières de David Debrinay s’ingénient à plonger les berges du lac dans un monde fantastique peuplé de… yétis repoussants. Continuellement, dans les cintres, paraît le trapèze de Miss Helvetia, la yodleuse, qui se veut la garante du cachet folklorique dans cette opérette de Ralph Benatzky.

Thaïs à Monte-Carlo

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C'est un privilège d'assister en ces temps de pandémie à la représentation d'un opéra avec un vrai public dans la salle.  Ce miracle a lieu à Monte-Carlo dans la légendaire  salle Garnier

Si tous les mélomanes connaissent la “Méditation” pour violon et orchestre de Thaïs de Jules Massenet, l’opéra complet reste une rareté sur scène ! La discographie n’est pas des plus exhaustives et cette partition n'a plus été jouée à Monte-Carlo depuis 1950.

Jean-Louis Grinda signe la mise en scène de cette nouvelle production, qui réunit tous les éléments pour en faire un spectacle total. Une distribution prestigieuse avec les plus belles voix du moment, des décors et costumes éblouissants, une mise en scène surprenante. On est transporté dans un univers rappellant les tableaux noirs du peintre Pierre Soulages. Tout en respectant la partition et le livret, on assiste à une représentation intemporelle, mêlant l'Antique à la Belle Epoque, tel un jeu de miroirs et de projections. Les images vidéo réalisées par Gabriel Grinda illustrent parfaitement les moments forts de l'action : ainsi durant la "Méditation", une vidéo en noir et blanc avec une belle image d'eau bénite coulant de son réceptacle, illustre le moment où les rêves de Thaïs passeront d’un baptême imaginaire à l’érotisme le plus sensuel pour se conclure par l’assassinat sauvage d’une femme libre.

Le chef d'orchestre Jean-Yves Ossonce est un grand spécialiste du répertoire français du XIXème siècle est aux commandes. Il déploie avec le remarquable Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et le Chœur de l’opéra de Monte-Carlo toute la richesse, les couleurs et toutes les nuances de la partition. La “Méditation” sous les doigts de Liza Kerob, premier violon de l'orchestre, est un moment d'émotion intense.

Dossier Emmanuel Chabrier : discographie sélective et commentée

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Dans le cadre de notre dossier sur Emmanuel Chabrier, nous vous proposons une discographie actualisée et commentée des oeuvres du grand compositeur. Si nous laissons de côté le seul cas de la célèbre España qui encombre les catalogues dans sa version pour orchestre, nous tenteront de dresser un bilan discographique de ce qu’il est possible d’écouter. Il s’agit d’une actualisation du travail mené par Harry Halbreich pour le numéro n°10 de Crescendo Magazine. 

À la relecture de cet article, nous avons été frappés par le peu de regain d’intérêt pour l’oeuvre d’un tel compositeur : 75 pourcents des titres référencés ici, l’étaient déjà il y a plus de 20 ans ! Certaines gravures comme l’intégrale des oeuvres symphoniques par Michel Plasson ou l’opéra du Roi malgré Lui par Charles Dutoit, n’ont pas été concurrencées et elles restent les seules au catalogue ! Il est ainsi assez triste de voir un tel compositeur délaissé (il en va de même pour Vincent d’Indy, Albert Roussel, Paul Dukas). On pourra donc retenir de notre époque que l’on connaît désormais fort bien des œuvres passables et secondaires de Théodore Gouvy, Benjamin Godard ou Fernand de la Tombelle, mais que l’on délaisse Chabrier.   

A Lausanne, de fabuleux CONTES D’HOFFMANN  

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Par d’exceptionnels Contes d’Hoffmann, l’Opéra de Lausanne ouvre brillamment sa saison 2019-2020 en réunissant un plateau vocal de haut niveau, une direction d’orchestre efficace et une mise en scène fascinante. 

Le rôle du poète Hoffmann est l’un des plus écrasants du répertoire, puisque chacun des tableaux lui réserve un air de facture diverse. Plus d’un interprète y a perdu ses moyens. Mais là, Eric Vigié a mis la main sur la perle rare, Jean-François Borras, un ténor monégasque de quarante-quatre ans que l’on a entendu ici en décembre dernier en Alfred de La Chauve-Souris où il brillait par son aigu éclatant ; mais de là à aborder Hoffmann, il y a un gouffre qu’il franchit allègrement en maintenant avec une endurance à toute épreuve la qualité du son sur l’ensemble de la tessiture durant trois heures, tout en incarnant un artiste marginal manipulé par un destin adverse. Depuis Alfredo Kraus que j’avais applaudi à Zürich en septembre 1980, je n’ai plus entendu à la scène un pareil Hoffmann ! Face à lui, le baryton-basse Nicolas Courjal est tout aussi impressionnant dans les quatre incarnations diaboliques dont il dégage le machiavélisme cynique par un timbre cuivré et une expression dramatique soutenue par une diction parfaite. Quant aux égéries du poète, elles sont campées par quatre chanteuses différentes : Beate Ritter, brillant soprano léger, se joue avec panache des passaggi virtuoses de la poupée Olympia, en osant même en greffer de plus périlleux dans le da capo. Par contre, Vannina Santoni afflige la malheureuse Antonia d’une émission gutturale qui finit par se corriger alors qu’elle affronte avec aplomb les injonctions du Docteur Miracle. A la courtisane Giulietta, la soprano Géraldine Chauvet prête d’abord une voix où se perçoivent les cassures de registre jusqu’en fin de tableau où l’aigu se libère. Carine Séchaye est à la fois la Muse et Nicklausse ; mais la patine de son mezzo s’est ternie, rendant la diction pâteuse, ce qui ne l’empêche pas de se jeter à corps perdu dans sa double composition. Frédéric Longbois confère une note légèrement inquiétante aux quatre valets, dimension que partage le Schlemil péremptoire de Mohamed Haidar. Le Crespel d’Anton Diakoff est aussi anxieux que le Spalanzani de Marcin Habela, tandis que Jean Miannay est un sympathique Nathanaël. Et Qiulin Zhang possède le mezzo large pour suggérer la voix d’outre-tombe de la mère d’Antonia.