Le testament musical d’Offenbach est resté inachevé ce qui autorise à peu près tous les remaniements possibles. Lotte de Beer, d’origine néerlandaise, directrice de la Volksoper de Vienne a effectué l’essentiel de sa brillante carrière en pays germaniques et scandinaves. Son approche des Contes d’Hoffmann n’emprunte pourtant rien à la fantaisie romantique allemande. Maîtresse femme, la metteure en scène prend en main la rééducation morale et sexuelle du malheureux Hoffmann. Elle transforme la Muse-Nicklausse en thérapeute chargée de remettre le héros dans le droit chemin c'est-à-dire de briser son narcissisme masculin. Jouet fantoche, hésitant et crédule la figure d’Hoffmann est par conséquent extirpée bon gré mal gré de ces brumes indécises qui participent de son mystère. Il est poussé tout aussi énergiquement à renoncer à cet onirisme qui incita Freud à se pencher sur son cas. L’incertitude se dissipe alors au profit d’une démonstration implacable et d’une construction très structurée. L’ajout de longs dialogues ordonne clairement le récit, ce qui le rend presque rationnel.
Tout est réglé au cordeau et regorge de trouvailles à l’image du dédoublement du poète qui perd son reflet. Le jeu de la poupée géante Coppelia qui devient minuscule et les changements d’échelle du mobilier injectent une dose d’absurde qui évoquent Lewis Carroll. La boîte-taverne au papier peint d’hôtel de gare qui sert de décor se prête à de multiples métamorphoses comme à des jeux d’acteurs parfaitement réglés ; dispositif qui, par ailleurs, a le mérite de favoriser la projection vocale.
La nouvelle production de la Dame de Pique de Tchaïkovski, à l'Opéra de Nice est une réussite. Le partenariat avec les opéras de Toulon, Marseille, et Avignon nous offre la possibilité d'assister à un spectacle imposant. C'est Modeste Tchaïkovski, le frère du compositeur qui a réécrit la nouvelle de Pouchkine. L'officier Hermann est amoureux de Lisa, qui est promise au Prince Eletski. Afin de gagner au jeu la fortune grâce à laquelle il pourra épouser la jeune femme, Hermann décide de découvrir le secret de la vieille Comtesse, la grand-mère de Lisa. Trois cartes permettent de gagner systématiquement au "jeu de pharaon". Le jeu, l'amour impossible, le destin, la mort sont les thèmes principaux de ce récit fantastique. La distribution vocale est magnifique, que ce soit dans les rôles principaux ou les personnages secondaires. Le ténor russe Oleg Dolgov incarne parfaitement le rôle d’Hermann, héros malchanceux au jeu et en amour.
En octobre, dans l’ombre des Indes Galantes dont le succès a attiré tous les regards sur Paris, deux opéras rarement mis à l’affiche ont trouvé leur place méritée en région. L’un, The Indien Queen de Henry Purcell, présenté à Lille, et l’autre, Sigurd d’Ernest Reyer, à Nancy.
The Indien Queen cinématographique
En résidence à l’Opéra de Lille, Le Concert d’Astrée dirigé par Emmanuelle Haïm a présenté du 8 au 12 octobre dernier The Indien Queen de Purcell (1659-1695). Le « drame héroïque » sur un livret de John Dryden et Robert Howard, créé en 1695 à Londres, prend ici une allure de film en ciné-concert. Cette « nouvelle version » de Guy Cassier et d’Emmanuelle Haïm insiste sur les parties dialoguées. Des séquences vidéos, filmées avec les mêmes acteurs-chanteurs qui jouent sur scène, sont projetées sur cinq grands écrans qui se meuvent et se combinent de différentes façons. Le « scénario » assez décousu racontant une intrigue politique mêlée d’histoire d’amour et de jalousie dans un exotisme imaginaire de Pérou et de Mexique fantasmés, est déplacé à notre époque : informations militaires par messages SMS, vêtements noirs de tous les jours comme costumes, révélation divine transmise via des images virtuelles visibles avec les lunettes 3D… et la manière dont les acteurs disentles textes sur scène, les gestes et les regards des personnages muets sur les écrans, ainsi que les angles de prises de vue sont tels que cela donne une forte impression d’être dans une salle de cinéma plus que dans celle d’un opéra.