Retour sur deux opéras rares : The Indien Queen de Purcell et Sigurd de Reyer

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En octobre, dans l’ombre des Indes Galantes dont le succès a attiré tous les regards sur Paris, deux opéras rarement mis à l’affiche ont trouvé leur place méritée en région. L’un, The Indien Queen de Henry Purcell, présenté à Lille, et l’autre, Sigurd d’Ernest Reyer, à Nancy.

The Indien Queen cinématographique

En résidence à l’Opéra de Lille, Le Concert d’Astrée dirigé par Emmanuelle Haïm a présenté du 8 au 12 octobre dernier The Indien Queen de Purcell (1659-1695). Le « drame héroïque » sur un livret de John Dryden et Robert Howard, créé en 1695 à Londres, prend ici une allure de film en ciné-concert. Cette « nouvelle version » de Guy Cassier et d’Emmanuelle Haïm insiste sur les parties dialoguées. Des séquences vidéos, filmées avec les mêmes acteurs-chanteurs qui jouent sur scène, sont projetées sur cinq grands écrans qui se meuvent et se combinent de différentes façons. Le « scénario » assez décousu racontant une intrigue politique mêlée d’histoire d’amour et de jalousie dans un exotisme imaginaire de Pérou et de Mexique fantasmés, est déplacé à notre époque : informations militaires par messages SMS, vêtements noirs de tous les jours comme costumes, révélation divine transmise via des images virtuelles visibles avec les lunettes 3D… et la manière dont les acteurs disent les textes sur scène, les gestes et les regards des personnages muets sur les écrans, ainsi que les angles de prises de vue sont tels que cela donne une forte impression d’être dans une salle de cinéma plus que dans celle d’un opéra.

Ce double jeu, sur l’écran et sur la scène, renforce une théâtralité de pure fiction ou, au contraire, d'une réalité qui rejoint souvent la fiction -points de vue d'ailleurs tous deux intéressantsmais impose au spectateur une virtuosité cérébrale pour suivre les acteurs : écran ou scène ? Sur les écrans, d’autres images de ruines urbaines, de nature ou autres, évoquant des souvenirs plus ou moins lointains, participent à cette sensation de patchwork à motifs multiples, d’autant que chaque séquence parlée ou musicale forme un bloc séparé des autres.

Pour la musique, la partition de Daniel Purcell (pour la partie que la mort de son frère Henry avait laissé inachevée)  est remplacée par d’autres pièces de Henry Purcell ; des musiques de Matthew Locke et John Blow sont également insérées, ainsi qu’une menuet manuscrite pour clavecin arrangée pour cordes par Peter Holman.

La performance des neuf chanteurs (quatre sopranos, trois ténors, un baryton et un baryton-basse), tous anglais, est tout à fait honorable. Anna Dennis notamment, séduit par son timbre coloré et subtil dans So when glitt’ring Queen of night au quatrième acte. Emmanuelle Haïm dirige Le Concert d’Astrée avec sa vigueur habituelle, qui anime la scène et redonne un souffle à ce "film drame psychologique".

Cette production qui tente de concilier à la manière moderne l’art vocal, le théâtre et le septième art, regorge d’idées en matière de mise en scène. Mais elle nécessiterait plus de simplicité afin de ne pas solliciter autant l’effort du spectateur pour digérer l’ensemble des aspects présentés. Au point de vue théâtro-cinématographique, il n’en reste pas moins un beau spectacle en compagnie duquel on passe un bon moment.

Pour les curieux, on peut visionner ce spectacle sur CultureBox.

Sigurd de Reyer à Nancy, faste vocal français

Ernest Reyer (1823-1909) est une figure oubliée de la musique française qui mériterait d’être davantafe mise à la lumière. Sigurd (créé à la Monnaie de Bruxelles en janvier 1884), certainement l’œuvre la plus connue du compositeur, symbolise un état d’esprit partagé par de nombreux musiciens français de cette époque : se dégager de la double et puissante influence du grand opéra et du wagnérisme. Sa partition en transparaît avec ses quatre actes (et non les cinq), ses leitmotivs moins ostentatoires, son orchestration épaisse souvent plus symphonique qu’opératique, son souci de timbre brillant notamment par les instruments à vent, son chœur imposant qui a sa propre personnalité… De belles pages orchestrales grandiloquentes (fanfares associées à la puissance du roi et de certains personnages masculins, musique berliozienne pour les scènes de tournois et de divertissement au 3e acte) côtoient des moments plus intimes confiés aux voix (réveil de Brunehild au 3e acte),ou vice-versa ; la différence d’écriture, de caractère et de style entre le début et la fin de l’opéra (symbolisée notamment par l’air « Ô palais radieux et la voûte étoilée » de Brunehild au 4e acte) est si flagrante qu’on sent une gestation difficile et lente, ce qui fut effectivement le cas. Une vingtaine d’année s’écoulèrent entre la remise du scenario d’Alfred Blau (avant la versification par Camille du Locle) et la création.

Frédéric Chaslin, qui a déjà dirigé l’œuvre en version de concert à Genève en 2013, a opté pour certain nombre de coupure pour une représentation de 3 heures 30 sans compter les deux entractes (il en a fait une version de 2 heures 30 à Genève). Ces coupures sont plus importantes dans les deux premiers actes où les scènes et rôles secondaires ont été ôtés, afin de se concentrer sur le déroulement dramatique des deux derniers actes.

La distribution presque entièrement française, excepté Peter Wedd dans le rôle titre, est d’envergure. Le ténor britannique assume avec assurance le rude défi vocal, dans une diction admirable ; ses aigus sont héroïques, limitant au minimum les failles qui auraient pu être beaucoup plus graves chez les autres chanteurs. Catherine Hunold est une Brunehild idéale dotée à la fois d’une sensualité incontestable et d’une audace insoupçonnée. Son timbre velouté n’est pas exempt d’envolées épiques ; elle est ainsi capable de changer de registre à sa guise, créant des attentes irrésistibles dans la salle. Camille Schnoor montre sa grande force vocale à la hauteur d’une Hilda infiniment dramatique qu’elle façonne. Marie-Ange Todorovitch joue le rôle d’Uta comme à Genève, avec des graves acérés. La clarté des propos chez Jean-Sébastien Bou, ce soir en Gunther, est toujours un plaisir, d’autant qu’il modèle habilement les couleurs selon les situations. Jérôme Boutillier, dans une diction impeccable, gagne avec ses phrasés intelligemment articulés en Hagen, alors que Nicolas Cavallier incarne l’autorité du prêtre d’Odin dans son interprétation engagée. Les Chœurs de l’Opéra national de Lorraine et d’Angers Nantes Opéra constituent de vrais personnages, notamment chez les hommes. L’Orchestre de l’Opéra National de Lorraine répond à l’attente du chef pour rendre les sonorités fastueuses imaginées par Reyer.

Les deux représentations en concert des 14 et 17 octobre constituaient un bel hommage aux 100 ans de l’établissement nancéen, ouvert le 14 octobre 1919.

Victoria Okada

Crédits photographiques : Frédéric Oovino / Cyril Cosson

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