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Théo Bélaud à propos de Charles Rosen 

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Pianiste et musicologue, Charles Rosen a marqué son temps par la force de ses analyses publiées dans des livres majeurs : Le Style classique. Haydn, Mozart, Beethoven ;  Formes- Sonate ou encore La Génération romantique. Pianiste, il s’est fait connaître par sa défense de la modernité : Schoenberg, Webern mais aussi Boulez et surtout Carter. Les  éditions genevoises Contrechamps nous proposent un nouvel ouvrage qui reprend la série de conférences Musique et Sentiment et d’autres essais dans une traduction et une introduction de Théo Bélaud. Ce dernier répond à nos questions par rapport à la place de Charles Rosen dans l’Histoire.

Qu'est-ce qui vous a attiré vers Charles Rosen et ces écrits ?

J’ai eu un coup de chance au début de mes études de philosophie, en 2002 : j’ai croisé un bibliothécaire de l’université qui conduisait un chariot d’ouvrages usagés à “désherber”, c’est-à-dire à être remplacés ou détruits, et sur le haut de la pile, il y avait un vieil exemplaire rapiécé de The Classical Style -le texte original. Je l’ai attrapé au passage, ce qui n’était sûrement pas autorisé, mais c’était la chose à faire. Je crois que même le nom de Rosen m’était alors inconnu. Alors qu’il est une des deux ou trois figures centrales de l’histoire et de la théorie de la musique dans la deuxième moitié du XXe siècle, il ne fait pas partie des points de repères dits de “culture générale” dont les étudiants français (mais pas seulement) sont censés connaître quelque chose au moins superficiellement, après une classe préparatoire aux grandes écoles, par exemple. C’est un peu comme pour Gombrich, Schapiro ou Wölfflin pour l’histoire de l’art, en pire, et cela dit beaucoup de choses du rapport de notre éducation et de nos élites à l’art en général, à la musique en particulier. Une solide connaissance des piliers de la littérature, de la philosophie et des sciences sociales est requise pour l’accès aux meilleures écoles et concours, mais reconnaître et différencier les styles de Mozart et Beethoven, décrire une forme sonate ou variations, ou comprendre l’évolution du langage de la musique savante au XXe siècle n’est pas demandé, sauf si votre pratique instrumentale, au conservatoire, vous prédestine à étudier l’histoire de la musique : c’est une véritable anomalie, du moins un déséquilibre dans la façon de prendre soin de notre culture. 

Pour quelqu’un comme moi de passionné par la découverte du répertoire, des partitions et de leur interprétation, ce contexte était très frustrant, et ouvrir ce livre a été la découverte d’une île aux trésors. Pas seulement parce qu’il ouvrait à l’étude rigoureuse des textes musicaux, mais parce qu’il donnait une perspective liant celle-ci à la réflexion historique et conceptuelle sur la musique : pour un étudiant en philosophie qui n’entend parler sur ce sujet que de Rousseau, Hegel, Schopenhauer, Nietzsche et éventuellement d’Adorno, revenir sur la question du rapport entre style et langage, naturalité ou artificialité des règles musicales, signification ou absence de signification de la musique, etc..., mais à partir des grandes œuvres du répertoire analysées avec précision, c’est extraordinairement rafraichissant. 

Dans un second temps, après qu’à la fin de mes études j’ai travaillé sur l’esthétique de Wittgenstein et les liens entre musique et philosophie du langage, je me suis rendu compte que la méthode de Rosen était très éclairante pour décrire de façon circonstanciée l’idée centrale de Wittgenstein qu’une dimension de la compréhension linguistique (dont la musique est une sorte de cas extrême) ne consiste pas à communiquer et recevoir une signification, mais à présenter et saisir un aspect, ce qui est très différent. Cela donne un éclairage particulier à l’idée un peu imprécise que la musique serait forme avant d’être contenu, que sa compréhension serait formelle avant d’être affective ou psychologique : en observant en quoi la musique exprime “tout court” plutôt que d’exprimer quelque chose, on décrit autrement sa force de symbolisation, sans tomber dans un formalisme complaisant, mais au contraire en laissant toute sa place à sa mystérieuse puissance émotionnelle. En lisant notamment les travaux du musicologue Alessandro Arbo, et en échangeant durant des années avec une grande spécialiste de Wittgenstein, Christiane Chauviré, qui s’intéressait à Rosen, j’ai approfondi ces intuitions. La force singulière du commentaire musical de Rosen est qu’il cherche toujours à décrire comment la musique parvient à une force expressive, sans jamais supposer un sens déterminé à cette expression.

Philippe Albèra, Contrechamps 

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Le musicologue Philippe Albèra a fondé Contrechamps en 1977. Depuis lors, cet ensemble helvétique et les éditions qui lui sont associées se sont imposés comme des piliers de la diffusion de la musique contemporaine en Europe, créant un duopole unique dans le monde de la musique. À l’occasion du lancement d’une nouvelle collection de poche, il revient sur les activités d’édition de Contrechamps. 

Vous lancez une collection de poche centrée sur des grands classiques de la modernité. Le premier titre est consacré à György Ligeti et ses “Etudes pour piano”. Qu’est-ce qui vous a motivé à lancer cette nouvelle collection ? 

Il s'agit d'attirer l'attention sur les grandes œuvres de la modernité en proposant une approche qui puisse à la fois s'adresser à l'honnête homme désireux de comprendre les enjeux de la création et aux étudiants ou aux spécialistes qui ont besoin d'une telle documentation. Cela s'inscrit dans l'effort des éditions Contrechamps d'offrir différentes sortes de médiations capables de replacer la musique contemporaine au cœur des préoccupations intellectuelles et artistiques. Tous les livres de cette collection seront des commandes à des auteurs, et donc des textes inédits. Le format de poche permet par ailleurs de proposer des livres à un prix très abordable.

Les parutions des éditions Contrechamps sont toujours du haut de gamme éditorial avec une grande exigence qualitative. Est-ce que c’est une application des valeurs suisses à l’édition ?

J'y vois plutôt le souci légitime de la qualité, rendu possible par un soutien institutionnel qui compense la non-rentabilité absolue de l'entreprise ! 

Les écrits de Brian Ferneyhough

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Brian FERNEYHOUGH  (° 1943) : Univers parallèles. Contrechamps, 2018, 498 p.

D’une certaine manière, Brian Ferneyhough est l’intellectuel de la musique contemporaine. Fortement marqué par des philosophes tels que Theodor W. Adorno, Walter Benjamin et Gilles Deleuze, auxquels il se réfère souvent, il est connu pour s’être opposé aux mouvements esthétiques prônant la simplification de l’art musical (en particulier les minimalistes américains) et pour défendre le sérialisme, ainsi que l’illustrent ses propres œuvres, ses essais et les diverses interviews qu’il a accordées çà et là, depuis les années 1960. Et ainsi que l’illustrent également son enseignement, ses cours et ses séminaires dans des conservatoires et de grandes universités, aussi bien Europe occidentale qu’en Amérique du Nord : Oxford, Cambridge, Durham, Harvard…