Mots-clé : Pierre Labric

Yvette et François Carbou évoquent 50 ans de passion discographique et leur ami Pierre Labric

par

Le label FY-Solstice vient de célébrer son cinquantième anniversaire. À cette occasion, ses deux fondateurs ont bien voulu retracer son histoire, par les disques et artistes qui ont marqué ce demi-siècle. La récente réédition de l’enregistrement des dix symphonies pour orgue de C.M. Widor par Pierre Labric, réalisé au début des années 1970, et dûment saluée dans nos colonnes, vient de s’achever par la publication d’un double-album consacré aux symphonies 7 et 8. François et Yvette Carbou évoquent aussi quelques souvenirs au sujet de ces sessions, et du doyen des grands organistes français.

Votre label a fêté l’an dernier ses cinquante ans, pourriez-vous en retracer les étapes ? Quelles furent les orientations éditoriales ? Vous rappelez-vous les tout premiers disques ? Tous répertoires confondus, quelles sont les réalisations dont vous êtes la plus fière ? Quels artistes vous ont le plus marquée ?

YC. Commençons par le commencement qui, me semble-t-il, mérite que l’on s’y attarde puisque l’histoire de FY (François, Yvette) -notre premier label-, naît à la tribune de l’orgue de Notre-Dame, ce qui de facto annonce une production prioritairement dédiée à l’orgue, mais pas seulement.

Mais revenons à Notre-Dame à la fin de 1971 où, en tant que scripte à l’O.R.T.F., j’accompagnais une équipe légère venue filmer le maître des lieux, Pierre Cochereau, qui enregistrait un disque consacré à Messiaen, l’un de ses tout derniers, pour la firme Philips. Je me souviendrai toute ma vie de l’intense émotion qui me saisit à mon arrivée à la tribune en découvrant le grand-orgue. Un instrument hors norme ! Qui plus est, la cathédrale étant vide de par les circonstances, l’immense nef à demi éclairée, l’épais silence qui régnait, tout cela était impressionnant puis, comme un coup de tonnerre, l’orgue retentit de tous côtés, ce fut un choc inouï, difficile à analyser mais dont je garde le souvenir vivant et que je retrouverai à l’issue d’une magistrale improvisation de Pierre donnée à l’issue d’un récital.

Ce fut aussi ce jour-là que je fis la connaissance de celui qui deviendrait quelques mois plus tard mon mari. François (Carbou), en effet, assistait Pierre à la console chaque fois que nécessaire, mais ça n’était pas là sa principale activité. Formé à l’école des Beaux-Arts de Paris, section architecture, il avait également une autre passion, la prise de son : « dada » qu’il partageait avec Cochereau. C’est ce contexte réunissant ses connaissances de l’orgue (il avait pris, adolescent, quelques leçons avec Pierre Labric -déjà !) et sa fréquentation assidue de Notre-Dame, qui avait fait naître le projet, disons-le plus qu’ambitieux, d’enregistrer les grandes œuvres liturgiques données jadis à N.-D. tels le Te Deum, le Magnificat, le De Profundis etc. alors que FY n’existait pas encore !

L’enregistrement eut lieu avec le concours de la maîtrise et des chœurs de Notre-Dame et un Pierre Cochereau enthousiaste au grand-orgue. Le disque vinyle parut sous la référence FY001… ce fut un succès mondial ! Le LP devenu entre-temps un CD est toujours au catalogue dépassant aujourd’hui le million d’exemplaires vendus ! Phénomène unique dans le répertoire classique. 

Quelques temps après ce « coup de maître », Pierre un beau matin s’adresse à François et lui dit : « Si tu crées ta maison de disques, je serai ton premier artiste ! ». Vous imaginez sa surprise mais c’est sans attendre qu’eut lieu la création de l’entreprise artisanale FY en 1972 -l’aventure commençait pour de bon… 

La production d’orgue de ces années-là (1972-1980) est marquée par quelques trésors : la première intégrale Duruflé réalisée sur l’orgue de Pithiviers, de la même façon l’œuvre d’orgue de Darius Milhaud à Chartres par George Baker (récompensé par le Grand Prix Charles Cros), des préludes et fugues de Max Reger par le même interprète à Saint-Sernin, Le Chemin de croix de Marcel Dupré à N.D. avec Rolande Falcinelli à l’orgue et une comédienne qui dit le texte de Claudel, l’œuvre d’orgue de François Couperin par Philippe Lefèbvre à Saint-Gervais, les six symphonies de Louis Vierne par Cochereau à N.-D. Grand Prix du disque également, la Messe de Vierne, puis celle de Jean Langlais avec Pierre Cochereau et la maîtrise de Notre-Dame.

Mais, il n’y a pas que l’orgue ! Dans les années 1972-80, deux réalisations majeures viendront distinguer le jeune label FY-Solstice : d’une part l’édition de l’oratorio Jeanne au Bûcher d’Arthur Honegger -33 ans après la version historique dirigée par Louis de Vogt- récompensé par le Grand prix du disque, puis l’année suivante ce sera un disque Ravel avec Le Tombeau de Couperin, Ma mère l’Oye par Yvonne Lefébure (également couronné par un Grand Prix du disque), l’autre grande figure qui marquera à son tour durablement le catalogue.

Yvonne fut sans aucun doute la personnalité qui m’aura le plus marquée. Ce que je sais d’important en musique, c’est à elle que je le dois, pas seulement en l’écoutant jouer mais plus encore lorsqu’elle parlait de musique avec intelligence et clarté. Elle aimait les élèves et je l’entends encore dans un de ses slogans favoris : « la perfection, ça n’existe pas, le perfectionnement, oui ! » Pédagogue passionnée, elle voulait transmettre un savoir et se disait elle-même : « musicienne avant que pianiste ».

Suite des Widor de Pierre Labric sur le Cavaillé-Coll de Rouen : les quatre premières symphonies

par

Charles-Marie Widor (1844-1937) : Première Symphonie, en ut mineur, Op. 13/1 ; Deuxième Symphonie, en ré majeur, Op. 13/2. Pierre Labric, orgue Cavaillé-Coll de l’abbatiale Saint Ouen de Rouen. Juillet et octobre 1971. Livret en français et anglais. TT 76’20. FY Solstice SOCD 403

Charles-Marie Widor (1844-1937) : Troisième Symphonie, en mi mineur, Op. 13/3 ; Quatrième Symphonie, en fa mineur, Op. 13/4. Pierre Labric, orgue Cavaillé-Coll de l’abbatiale Saint Ouen de Rouen. Juillet et octobre 1971. Livret en français et anglais. TT 63’56. FY Solstice SOCD 405