Mots-clé : Sophie Lacaze

Luxembourg : Rainy Days, accueillant et expérimental

par

Terriblement automnal, le festival de musique contemporaine à Luxembourg, alors que l’eau n’arrête pas de se déverser du ciel, remplissant ces nappes phréatiques dont on se désolait jusqu’il y a peu du faible niveau, au point de les faire déborder, comme le lit des rivières chez nos voisins du Nord ces derniers jours, Rainy Days, à l’abri le long des colonnades conçues par Christian de Portzampac, prend cette année des airs de renouveau : programme concentré sur un week-end (prolongé) de quatre jours (un défi pour l’équipe technique) au lieu de la dizaine des années précédentes, concerts souvent plus courts, un accès à la journée plutôt qu’à l’événement et l’épreuve du feu pour la compositrice basée à Londres Catherine Kontz, nouvelle directrice artistique -le tout autour de la thématique de la mémoire, sous ses aspects d’association, de rappel, de réminiscence, d’apprentissage et de démence.

Chants de la Ferme des 1000 Vaches et des entrepôts d’Amazon

A l’évocation des Works Songs de Christopher Trapani (1980-), par lesquels je débute mon week-end à Luxembourg, des images me reviennent, d’un concert dans ce même lieu il y a quelques années, où Phill Niblock propulse ses drones sur des images de « personnes au travail », gestes répétés, mécaniques, sciemment efficaces : une association mémorielle immédiate, contre l’évidence de laquelle je lutte (brièvement) pour me laisser prendre par l’intention du compositeur américano-italien, curieux de ces musiques transmises oralement, qui rassemble des « chants de travail » -ces ritournelles fonctionnelles destinées à faciliter les gestes, adoucir tiraillements musculaires et monotonie de pensée-,  en parle avec ceux qui les connaissent et imagine des chansons d’aujourd’hui pour des métiers de maintenant -dans une société si individualiste qu’on ne chante plus guère que sous la douche. Le quatuor vocal bruxellois Hyoid Voices entame la première complainte avant même d’entrer sur une scène striée, sur sa gauche, d’un alignement de tapis de souris (d’ordinateur) vivement décorés (paysages, voitures de sport…) et équipée, sur sa droite, d’un praticable lui aussi recouvert de ces rectangles aujourd’hui obsolètes -noirs cette fois, et chargés de quelques souris (avec fil ; les actionner génère des événements sonores retransmis par les haut-parleurs) : les deux hommes et deux femmes sont vêtus des habits du dimanche des Budapestois d’avant la chute du Mur, tissus synthétiques, colorés et luisants, chantent des textes de langues différentes en trimballant des seaux en plastique qu’ils chargent et déchargent de paquets de post-it, le tout dans un spectacle kitsch et rococo qui, si je ne peux pas dire qu’il me séduit musicalement, au moins me surprend esthétiquement.

Les sons aussi ont leur vie

La table ronde Foghorns and Rivers – Remembering Sounds précède une mini-performance de cornes de brume (en aérosols, les bateaux, c’est encombrant) actionnées du haut de la passerelle qui fait le tour de la Philharmonie (à l’intérieur et au sec, et prétexte, cette année, à un parcours « Et wor emol » (« Il était une fois », parsemé d’une quinzaine de QR codes, autant d’étapes-souvenirs musicales tirées des archives luxembourgeoises), pour un public en contrebas et aux oreilles protégées -Yoshi Wada (1943-2021), nourri chez Fluxus et à qui l’offrande nautique est dédiée, poussait lui-même le volume, soucieux de ne rien perdre des harmoniques : Annea Lockwood (1939-) et la journaliste britannique Jennifer Lucy Allan parlent de field recording (pour enregistrer le son du Danube, la compositrice néo-zélandaise de musique électronique délaisse les villes qu’il traverse, dont le bruit la désintéresse), des sonorités perdues des cornes de brume (mais du retour de nouvelles, comme celles du tram urbain), des façons de se souvenir du son des rivières ou du phénomène d’habituation qui, au bout d’un temps, nous réveille au silence de la sirène portuaire quand nous elle tait son hurlement attendu.

Une belle et singulière aventure musicale

par

Pour Que l’Esprit Vive, association fondée en 1932, œuvre pour lutter contre l’isolement rural par l’art et la culture. Son infatigable directrice, Agnès Desjobert, développe le réseau des petits villages dont les habitants accueillent, le temps d’un week-end bien rempli, ponctuellement, puis régulièrement, des artistes professionnels. Dernier de la saison, le concert d’aujourd’hui se déroule à Jailly-les-Moulins, village de Bourgogne, très enclavé. Dix minutes avant, des dizaines de voitures stationnent, la nef de la petite église est bondée, certainement deux fois l’effectif total de la population (88 habitants).

Le quatuor Hélios, justement réputé, se compose d’une flûte et d’un trio à cordes, formation relativement rare, particulièrement lorsqu’elle est permanente. Pas moins de 78 œuvres ont été écrites à son intention. Deux d’entre elles, de deux compositrices, s’insèreront entre trois quatuors avec flûte de Mozart. Ainsi constitué, le programme répond à toutes les attentes. D’autant que la flûtiste, Christel Rayneau, captive le public en lui présentant chaque œuvre de façon claire, démonstrative et juste.