Une belle et singulière aventure musicale

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Pour Que l’Esprit Vive, association fondée en 1932, œuvre pour lutter contre l’isolement rural par l’art et la culture. Son infatigable directrice, Agnès Desjobert, développe le réseau des petits villages dont les habitants accueillent, le temps d’un week-end bien rempli, ponctuellement, puis régulièrement, des artistes professionnels. Dernier de la saison, le concert d’aujourd’hui se déroule à Jailly-les-Moulins, village de Bourgogne, très enclavé. Dix minutes avant, des dizaines de voitures stationnent, la nef de la petite église est bondée, certainement deux fois l’effectif total de la population (88 habitants).

Le quatuor Hélios, justement réputé, se compose d’une flûte et d’un trio à cordes, formation relativement rare, particulièrement lorsqu’elle est permanente. Pas moins de 78 œuvres ont été écrites à son intention. Deux d’entre elles, de deux compositrices, s’insèreront entre trois quatuors avec flûte de Mozart. Ainsi constitué, le programme répond à toutes les attentes. D’autant que la flûtiste, Christel Rayneau, captive le public en lui présentant chaque œuvre de façon claire, démonstrative et juste.

Les deux quatuors de Mozart qui ouvrent et ferment le concert furent écrits pour Dejean, à Mannheim en 1777 (K. 285a & b). Réduits à deux mouvements, ce sont des œuvres agréables, séduisantes, qui appellent autre chose que le dédain (ainsi, la variation mineure du dernier).

Au centre, le Köchel 298 (Vienne, 1787) en ut majeur, où Mozart s’amuse avec les Jacquin sur le compte des Hoffmeister et Paisiello. Les parodies y sont savoureuses, des quatre variations délibérément formelles du premier mouvement au rondo final.

L’acoustique favorable de l’église amplifie le son et altère parfois la dynamique, détail un peu dérisoire par rapport à l’approche exemplaire des Hélios, familiers de longue date de ces œuvres qu’ils affectionnent visiblement. L’insouciance, la jovialité, l’énergie y font bon ménage, le jeu de chacun des complices permettant une conversation idéale.

Les œuvres contemporaines méritent toute notre attention. La première, Broken Words (2000) de Sophie Lacaze, serait-elle en train d’accéder au statut de classique ? Le bush australien est suggéré dans le premier volet par les longues pédales animées du violoncelle, auxquelles les interjections de ses partenaires vont donner du relief et de la profondeur, immense. Le deuxième nous entraîne parmi les aborigènes. Une basse obstinée qui se renouvellera, soutient les percussions en pizzicati, et la rythmique des cris, donnent une image sonore très juste de cette riche tradition. Le finale est un lento fondé sur des tenues dissonantes. Ce n’est pas faire injure à la compositrice que de l’inscrire pour part dans l’héritage de Bartok. Une œuvre très attachante qui sera donnée deux fois encore ce mois (Vannes, puis Toulon) par les Hélios et une autre formation.

De Ivane Béatrice Bellocq, Soleil noir (2006), titre en forme d’oxymore, se fonde sur un étrange poème d’un détenu de l’enfer russe. L’œuvre musicale est forte, ambitieuse, expressive, explorant de nombreux modes de jeu (jusqu’au chant dans l’ouïe du violon). On en sort accablé.

Les longues et chaleureuses ovations de l’assistance lui valent un bis, Paris s’éveille (Jacques Dutronc), que le public identifie spontanément et chante de bon cœur (chœur), l’écriture raffinée des cordes et la flûte virtuose lui offrant un écrin bienvenu.

Jailly-les-Moulins (Côte d’Or, France), église, le 1er mars 2020.

Yvan Beuvard

Crédits photographiques : DR

 

 

 

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