Mots-clé : Stéphane Ginsburgh

Au-delà de la nuit, au-delà des frontières

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Par certains éléments structuraux (la mezzanine, le fer forgé), le Grand Salon du Botanique me replonge dans le décor du Museum d’Histoire Naturelle, où le k l a n g collective mettait un point final à l’édition 2022 du Walden Festival. Ce soir, c’est complet et en soi c’est déjà un beau résultat pour les Nuits Botanique, 30e édition que clôture un 3+1 (3 créations, 1 variation) contemporain, là où on trouve bien plus souvent, dans ce festival éclectique qui en inaugure la saison (des festivals), rock, musiques electronique ou expérimentale, r&b, chanson, hip hop ou pop -une culture du jeté de ponts entre les genres, comme une manie de déranger méthodiquement le tiroir à chaussettes, trop ordinaire si rangé par couleurs, ou par pointures.

Et de la (hip-)pop, c’est ce dont se nourrit la Mulitude Variation qui ouvre le programme, née de l’expérience d’arrangeur de Bruno Letort sur l’album de Stromae (un travail de production sonore qui exige « la même précision chirurgicale qu’en musique contemporaine »), variations sur La sollasitude, ce morceau, au refrain crispant et touchant à la fois (« le célibat me fait souffrir de solitude, la vie de couple me fait souffrir de lassitude »), parmi les six sur lesquels l’orchestrateur a posé sa patte : une image déformée de l’idée d’un autre, qui s’y retrouve mais plus tout à fait, colonne vertébrale concurrencée sur son fondement, menacée même dans sa polyrythmie par l’appropriation altérée, comme au travers d’un miroir courbe -comme on tord, en médecine, une image radiographique afin de mettre en évidence des détails autrement difficiles à percevoir.

L’idée des variations vient du Bota, comme les commandes des trois concertos, confiées à trois autres flamboyances de la scène comtemporaine belge francophone -Bruno Letort s’est importé de Paris, mais dix ans d’acclimatation en ont arrondi les us et accents (jusqu’à son look Inspecteur Columbo de ce soir)-, des éclats au tempérament spécifique, irridescent pour Jean-Luc Fafchamps, l’homme de la « woman qui est là » (deuxième et dernier épisode en date de l’irréel opéra qui en compte trois), impérial pour Jean-Paul Dessy, ce soir au four et au moulin puisqu’il tient la baguette devant les cordes de Musiques Nouvelles, rigoureuse et réservée pour Apolline Jesupret -une génération après celle des trois autres, mais une maturité d’écriture qui déconcerte chaque fois que je l’entends. Et c’est encore le cas pour Ardeurs intimes (un oxymore qui m’autorise celui de la flamboyance réservée), concerto pour violon (la jeune Maya Levy, au jeu saillant et à la posture altière) et orchestre à cordes, qui séduit par la promptitude avec laquelle sa musique convoque le profond du ressenti -ici celui, personnel et intérieur, contrasté par les trois mouvements de la pièce, de l’amour, par lequel on vibre, on contemple, on pulse.

Ars Musica (III) : l’éclectisme et le hasard

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Ars Musica : l’éclectisme et le hasard

Le tir groupé de novembre laisse place à un étalement plus parcimonieux des rendez-vous, dont certains coïncident et obligent à choisir. Cette fois, c’est au Delta, nouveau partenaire du festival, dans ce bâtiment neuf fait de rondeurs, de boiseries et de larges vitres ouvertes sur la confluence des fleuve et rivière de Namur, que je me rends deux soirs de suite, l’occasion de flairer l’odeur de barbe à papa du marché de Noël (j’abhorre autant les effluves de vin chaud que le Grand Jacques a « horreur de tous les flonflons de la valse musette et de l'accordéon »), de flâner dans le bruissement fiévreux des préparatifs de fin d’année et même de retrouver un vieil ami au contact suspendu pendant une décennie.

Andrew Poppy / Lola Malique & Marie Hallynck – Le Delta (Namur), vendredi 10 décembre 2021

Si la Tournaisienne Marie Hallynck, malade (Covid, peut-être ; hors d’état de chanter, certainement) déclare forfait, Lola Malique offre au public de la salle Tambour sa conception bien particulière de la musique, qu’elle assemble entre chanson, poésie et musique contemporaine : pour deux de ses propres compositions, elle convoque les mots (et la voix, enregistrée) du poète marocain Abdellatif Laâbi alors que, avec Sept Papillons de Kaija Saariaho, elle parcourt, dans chacune des sept miniatures, ce drôle de mouvement sans début ni fin, fragile et éphémère -que la compositrice finlandaise truffe de techniques instrumentales étendues. L’interprétation, légère et personnelle, de la chanson d’Allain Leprest (Les tilleuls) procure une respiration avant deux pièces plus ardues : dans A Weightlessness Process (… or how to become ethereal), Michèle Abondano (Colombie) explore les possibilités de timbre de l’instrument : comment une unique source sonore se multiplie, fluctue, s’interrompt et explose, en fonction de la préparation technique du violoncelle (un long ruban -une bande magnétique ?- déployé entre et frotté sur ses cordes) ; l’exercice titille mieux mon attention que l’utilisation percussive et l’étouffement systématique des sons prescrits par la Brésilienne Michelle Agnes Magalhaes dans Migrations (elle aime titiller les limites entre geste et écriture).

Mantra à Bozar : le tour du son en (un peu moins de) 80 minutes

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Articulée autour du thème de « l’inentendu », l’édition 2018 du festival Ars Musica explore de nouvelles contrées sonores. Au programme de la soirée du 16 novembre à Bozar, le Prélude et la Mort d’Isolde extraits de Tristan et Isolde de Wagner avaient, certes, un petit air de « déjà entendu ». En revanche, l’arrangement pour deux pianos qu’en a réalisé Max Reger est relativement peu joué. Quant à Mantra de Karlheinz Stockhausen, c’est l’une des étapes essentielles jalonnant l’épopée du renouvellement du langage musical entreprise le siècle dernier.

Stéphane Ginsburgh, pianiste des défis

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Stéphane Ginsburgh est un pianiste qui aime les défis. Il joue régulièrement Morton Feldman et Frederic Rzewski, enregistre l'intégrale des sonates de Prokofiev (Cyprès) et se prépare à affronter, avec son compère Wilhem Latchoumia, l'imposante "Mantra" de Stockhausen pour le festival Ars Musica. Crescendo-Magazine rencontre l'un des artistes les plus épatants et indispensables de la scène belge.