Mots-clé : Tamara Banjesevic

A l’Opéra de Lausanne, Tint… Tamino au Tibet

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Dans la Note d’intention figurant dans le programme de cette nouvelle production de Die Zauberflöte, Eric Vigié qui en a conçu la mise en scène et les costumes écrit : « Cet opéra reste en premier lieu un conte merveilleux destiné à divertir, émerveiller et donner des pistes de réflexion selon votre sensibilité ». En collaborant avec Mathieu Crescence pour les décors, Denis Foucart pour les lumières et Gianfranco Bianchi pour les vidéos, il privilégie la narration en laissant de côté la dimension initiatique du rituel maçonnique dans un Siècle des Lumières finissant. Échappé des pages de Tintin et le Lotus bleu, ce Tamino explorateur se laisse griser par les bouffées d’opium qui font apparaître une hydre monstrueuse que finiront par abattre les trois suivantes d’une Turandot des forces nocturnes. Hirsute comme un Robinson Crusoé capturant les oisillons, Papageno glisse une note de bonhomie cocasse dans cet univers étouffant où un Monostatos vipérin ose s’en prendre à la vertu d’une Pamina endormie. Surgissant d’une énorme potiche de porcelaine, les trois Enfants en pyjama, qui ont faussé compagnie à Mary Poppins, entraînent le voyageur et son compagnon maugréant vers les cimes enneigées où trois pandas géants croisent le yeti avant de parvenir à une imposante façade qui révèle un Orateur, énigmatique Confucius évoquant un monde idéal où le mal n’a pas de prise. Comme une idole dorée descendant des cintres, apparaîtra un Sarastro siégeant sur une maquette du Potala pour gouverner cette caste des purs à laquelle n’accèdent que les initiés ayant subi de redoutables épreuves. Alors que les forces du mal sont anéanties, l’on ne peut que se gausser des trois Dames ayant tourné casaque pour exhiber le petit livre rouge d’un certain Mao… Et cette fable au premier degré se lit donc avec une logique détachée de toute contextualisation philosophico-moralisatrice.

Le miracle d’Ariodante à l’Opéra de Paris

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Les miracles se produisent où on ne les attend pas. L’un survint sur la scène du Théâtre de Poissy, en version concert, le 16 janvier 1997, sous la direction de Marc Minkowski avec Ann Sofie von Otter, dans le rôle-titre (enregistré par le label Archiv). L’autre eut lieu ce soir du 20 avril 2023, au Palais Garnier, à l’occasion d’une première « sans » mise en scène (Robert Carsen) ou, plus exactement, « avec » une mise en scène toute d’instinct et de sensibilité.

Le préavis de grève ayant été annoncé à 17 heures, musiciens et interprètes ne disposent que de quelques heures pour relever le défi. Mieux qu’une réussite : un moment de grâce.

Devant un immense rideau vert, sur le proscenium, les épisodes heureux et désespérés vont ainsi se succéder au fil de la soirée en une rare proximité dramatique et musicale.

Le caractère d’improvisation (très relative) dégage d’emblée quelque chose de vivifiant où le public est partie prenante. D’imperceptibles hésitations donnent du « jeu » aux articulations gestuelles et musicales contribuant à une inhabituelle sensation de liberté.

Le chef Harry Bicket, admirable connaisseur du compositeur, à la tête de l’ English Concert, permet à chacun de trouver tranquillement ses marques. Il dose, avec autant de prudence que de discernement, les enchantements de la partition. Même les Chœurs, un peu intimidés, participent de l’écoute mutuelle.

Si les effectifs de l’orchestre (en nombre et en pupitres) restent en deçà de ceux qu’exige Haendel, le tissus orchestral tout en transparence, à fleur d’émotion, enveloppe, avec autant de tact que de volupté, chaque « conversation en musique ».

Ainsi de l’aria de Polinesso « Spero per voi, si, si, » (I, 9) ou encore de l’échange violon et soprano (Dalinda) « Il primo ardor » (I, 11).

Avec les Sinfonia et les Ballets, l’éloquence atteint des sommets. Ballet des Nymphes, Bergers et Bergères (I) ponctué de Musettes où le babillage des flûtes s’émancipe des nuées de cordes. Le mouvement bondissant, jamais sec, enveloppe la joie des amants qui -comme le livret l’indique dans les didascalies - se « donnent la main ». Union ravissante d’un paysage sonore idyllique et du couple Ariodante, héros « Ninja » d’une beauté androgyne (Emily d’Angelo) et Ginevra fille de roi à la grâce ingénue (Olga Kulchynska).