Un chef exceptionnel à l’OSR, Pablo Heras-Casado
Pour un programme intitulé ‘Affinités électives’ proposé tant à Genève qu’à Lausanne, l’Orchestre de la Suisse Romande sollicite le concours du chef espagnol Pablo Heras-Casado, principal chef invité du Teatro Real de Madrid qui s’est fait une réputation d’interprète wagnérien en dirigeant Das Rheingold à l’Opéra de Paris, Der fliegende Holländer à la Staatsoper Unter den Linden de Berlin, Die Meistersinger et la Tétralogie à Madrid. En juillet 2023, il a débuté triomphalement au Festival de Bayreuth en assumant les représentations de Parsifal et les reprises de 2024 et celles à venir de 2025.
Par deux des grandes pages symphoniques de Parsifal, il commence donc son programme en conférant au Prélude de l’Acte I une fluidité du coloris qui se répandra naturellement sous un ample legato favorisé par l’acoustique du Théâtre de Beaulieu à Lausanne alors qu’au Victoria Hall de Genève, la sonorité compacte paraîtra plus étriquée. Faisant appel aux cuivres remarquablement fusionnés, il proclame les thèmes du Graal et de la Foi en exacerbant les forte dans les tensions du développement afin de susciter les élans rédempteurs évoquant la Sainte Lance. L’Enchantement du Vendredi Saint de l’Acte III s’inscrit dans cette voie du grandiose solennel qui s’atténue en un pianissimo ouaté des cordes pour permettre au hautbois de développer cette ineffable mélodie rassérénée que reprendra la clarinette sans s’attarder en vains épanchements.
Entre ces deux extraits intervient le pianiste russe Alexei Volodin, élève d’Eliso Virsaladze au Conservatoire de Moscou, qui interprète le Premier Concerto en mi bémol majeur de Franz Liszt. Répondant à un tutti vrombissant par des octaves à l’arraché, il impose une virtuosité clinquante qui reste à la surface du propos, instillant quelques nuances mélancoliques dans son cantabile alors que, le premier soir à Genève, les bois cafouillent en poursuivant le triangle irradiant le scherzo. L’Allegro marziale animato est réduit à un pathétique tonitruant que le Più mosso conclusif fera exploser en nous laissant sur notre faim que ne rassasieront guère un lied de Schubert (Das Wandern extrait de Die schöne Müllerin) transcrit par Liszt et l’Etude op.25 n.1 de Chopin donnés en bis. Une cruelle déception !
Intelligemment, le concert s’achève avec la Cinquième Symphonie en ré majeur op.107 dite Réformation de Felix Mendelssohn, car figure dans l’andante introductif le motif de l’Amen de Dresde entendu précédemment dans le Prélude de Parsifal. Pablo Heras-Casado procède par étagement des entrées successives en s’appuyant sur la profondeur des cordes graves pour permettre aux cuivres d’exposer leur choral. L’Allegro con fuoco qui s’y enchaîne est élaboré à la pointe sèche avec une énergie qui calibre les appuis rythmiques soutenant le flux des cordes serpentantes entraînant dans leur sillage une stretta échevelée. L’Allegro vivace a l’effervescence d’un scherzo allégeant les lignes tandis que l’Andante se confine en un intimisme dépouillé qui laisse place ensuite à l’exposition par les bois du Choral Ein feste Burg ist unser Gott. L’Allegro subséquent est élaboré en un tempo rapide où la clarté de texture révèle un fugato serré se développant sous les tenues de vents péremptoires qui débouchent sur une coda en apothéose. Et le public gratifie de salves d’applaudissements ce chef magnifique que l’on espère revoir rapidement au pupitre l’Orchestre de la Suisse Romande !
Genève, Victoria Hall, 9 avril 2025
Lausanne, Théâtre de Beaulieu, 10 avril 2025
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