Un « concert de ruelle » chez Monsieur de Saint-Colombe  et ses filles par le Ricercar Consort

par

 Jean de Sainte-Colombe (c.1640-c.1700) : Concert XLIe Le Retour ; Concert XXVe La Caligie ; Concert XXVIIe La Bourasque ; Concert XLVIIIe Le Rapporté ; Concert XLIVe Le Tombeau ; Concert LXVIe L’infidelle ; Concert LIVe La Dubois. Louis COUPERIN (1626-1661) : Suite à trois violes. Jacques CHAMPION de CHAMBONNIERES (1602-1672) : Pavane L’Entretien des Dieux ; Sarabande Jeunes Zéphirs. Robert de VISEE (c.1655-c.1732) : Tombeau pour Mesdemoiselles de Visée. Ricercar Consort : Philippe Pierlot, dessus et basse de viole ; Lucile Boulanger et Myriam Rignol, basses de viole ; Rolf Lislevand, théorbe. 2020. Livret en français, en anglais et en allemand. 75.00. Mirare MIR 336.

Même si le superbe film Tous les matins du monde pourrait inciter à penser le contraire, on possède assez peu de données biographiques sur « Monsieur de Sainte-Colombe », à commencer par ses dates de naissance et de décès, qui sont approximatives. Il se prénommait Jean, aurait été originaire du Sud-Ouest de la France, mais aurait surtout vécu à Paris. Il aurait eu deux filles, Françoise et Brigide (d’autres sources parlent de Brigitte), ainsi qu’un fils qui aurait fait carrière en Angleterre après avoir été, comme Marin Marais, l’un de ses élèves. Ceux-ci, rappelle la notice érudite de Françoise Depersin (à consulter avant audition), n’étaient pas avares d’éloges à son sujet, Danoville le surnommant « l’Orphée de notre temps ». Des témoignages de l’époque rapportent que Sainte-Colombe donnait des concerts à domicile, destinés à un public choisi, avec ses deux filles (en eut-il d’autres ? un texte de 1732 cité dans la notice parle de « deux de ses filles »). Dans l’intimité de leur demeure, père et filles donnaient des concerts à trois violes, essentiellement des danses. « L’Orphée du temps » ne fut pas le seul à adopter cette pratique, d’autres musiciens ont agi de la même manière.

Le présent CD est une évocation raffinée et distinguée de ce que l’on pouvait écouter dans le cadre intime de ces « concerts de ruelle ». Les œuvres présentées sont partagées en trois sections : les Pièces en ré proposent trois Concerts de Sainte-Colombe (Le Retour/La Caligie/La Bourasque) et une suite à trois violes de Couperin ; les Pièces en sol, deux Concerts de Sainte-Colombe (Le Rapporté/Le Tombeau) et deux pages de Champion de Chambonnières ; quant aux Pièces en do, il s’agit d’un Tombeau de Robert de Visée et de deux Concerts (L’infidelle/La Du Bois) de Sainte-Colombe. On ne connaît pas les détails du répertoire donné dans la maison du maître-ès-viole, mais les pages rassemblées ici en sont un habile montage qui aurait pu être exécuté. Les adaptations étant nombreuses, les interprètes du CD ont transcrit des pièces de Chambonnières et de Couperin pour trois violes, afin de demeurer dans l’esprit de ces moments privilégiés. Dans les pages de Sainte-Colombe, on a la confirmation d’une musique à la fois inventive et spontanée (on sait que c’était un grand improvisateur), dans des formes libres, avec des harmonies novatrices pleines d’audaces. Dans le cas de Chambonnières, la Pavane révèle une écriture polyphonique d’une grande variété : allemande, courante, sarabande, gigue, etc. Deux Tombeaux, destinés à honorer la mémoire d’un défunt, sont inscrits au programme, dans leur gravité, leur volonté de déploration et leur profondeur d’intention, qui est celle de métaphores musicales de la chute dans la mort.

Les interprètes de ce programme esthétique sont des spécialistes reconnus. On ne présente plus le Liégeois Philippe Pierlot, né en 1958, qui a étudié la viole de gambe auprès de Wieland Kuijken, fait partie de l’aventure du Ricercar Consort depuis sa création, et a aussi souvent collaboré avec Jordi Savall et Hespérion XXI. Lucile Boulanger et Myriam Rignol sont ses dignes partenaires, ainsi que le théorbe de Rolf Lislevand. La complicité est évidente d’un bout à l’autre. Ce CD, dont l’écoute en continu sollicite la concentration soutenue de l’auditeur, plaira en priorité aux amoureux de la viole, l’affiche étant particulièrement représentative de ce noble instrument. L’enregistrement, dont la prise de son a été effectuée avec beaucoup de soin par Aline Blondiau, a été réalisé en décembre 2016 à la Chapelle de l’Immaculée à Nantes. 

Son : 10  Livret : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

  

Un commentaire

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.