Grete Pedersen, cheffe de choeur 

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Grete Pedersen est l’une des cheffes de choeur des plus renommées de notre époque. Au pupitre de ses Norwegian Soloists’ Choir et du Norwegian Radio Orchestra, elle vient de publier un enregistrement consacré à Luciano Berio avec une interprétation magistrale de Coro, l’un des plus grands chefs d’oeuvre de la musique chorale. 

Que représente Coro pour vous ? Pourquoi cette partition est-elle si importante dans l'histoire de la musique chorale ? 

Pour moi, c'est l'une des plus grandes œuvres ! Berio traite de nombreux aspects de manière étonante : individualité versus tutti, chanteurs versus instrumentistes, le fond et la forme. J'ai toujours aimé travailler l’association des chanteurs et des instruments, mais je préfère diriger des oeuvres qui proposent des textes avec de la substance que des partitions intègrant des musiques folkloriques. Dès lors, Coro, qui mixe ces différents aspects, était pour moi une partition exemplaire ! Dans cette musique, tous les aspects et tous les interprètes sont tellement tissés et imbriqués que pour la faire résonner dans toute sa richesse, chacun dépend totalement des autres. Dans une interview, Sir Simon Rattle a classé Coro parmi ses trois meilleures œuvres pour chœur et orchestre et il a comparé sa qualité et son importance à la Passion selon Saint-Matthieu de Bach. Je ne pourrais pas être plus d'accord ! 

 De nombreuses partitions "d'avant-garde" de la seconde moitié du XXe siècle ont particulièrement vieilli et sonnent surannées, alors que Coro ne cesse de nous éblouir. Quelle est la force de cette œuvre ? 

Il faut considérer d’abord la clarté de l'architecture de la partition avec ses 31 parties, ses refrains récurrents, et le texte de Pablo Neruda. La façon dont Berio introduit la musique et les textes, avec subtilité et naturel, en fait un mélange bigarré et coloré qui n'est pas artificiel. Cet aspect évolue et grandit tout au long de la partition. La musique est aussi pleine de joie, d'espièglerie, de désir d'amour et de sérieux, combinés à de soudaines surprises. Et, bien sûr, les multiples citations du texte de Pablo Neruda Come and see the blood in the streets nous ramènent à une dimension plus profonde et significative -n'oubliez pas l'injustice, n'oubliez pas ceux qui se sont battus pour notre liberté. Coro a un sens politique et il est impossible de détourner le regard.

Coro est une partition d’une grande exigence pour les interprètes. Comment se prépare-t-on à un tel enregistrement ? 

Ce fut un long travail de préparation pour moi et pour les musiciens. Nous avions donné l’oeuvre quelques années plus tôt, pour l'ouverture du plus grand festival de musique contemporaine de Norvège, le Festival Ultima.

Le format du conducteur, avec les 84 musiciens individuels, est déjà énorme : j'ai dû acheter un chariot pour le transporter. Avant l'enregistrement, nous avons surtout répété par groupes et nous avons monté le morceau juste avant le concert qui précédait notre enregistrement. L'Orchestre de la radio norvégienne et le chœur des solistes norvégiens sont tous deux habitués à la musique contemporaine exigeante, mais j'ai été très reconnaissante et très heureuse de la façon dont ils ont plongé dans ce projet.

 Coro est une œuvre difficile à enregistrer en raison de l'effet de la mise en scène qui prévoit de mettre les musiciens et les chanteurs côte à côte. Comment avez-vous réussi à relever ce défi ? 

C'est important : Berio veut que chanteurs et instruments soient placés par paires, soit 40 couples, sans oublier 4 musiciens “supplémentaires”, un piano, un orgue et des percussions en tant que groupe de continuo. Ce qui signifie par exemple qu’un clarinettiste est assis à côté d'un alto, alors qu’un autre instrumentiste de la famille des bois est à 20 mètres de distance ! Les couples ne chantent pas et ne jouent pas de la même façon mais ils sont clairement liés musicalement. Personne ne joue à sa place habituelle, ce qui complique la tâche et modifie complètement le plan de la scène par rapport à toutes les autres situations. La hiérarchie normale dans l'orchestre n’existe plus. Cela donne aussi une image intéressante de la société : si vous imaginez une ville où vous enlevez les toits des maisons, vous voyez beaucoup de choses différentes qui se passent en même temps. Dans certaines parties de ce chef-d'œuvre, vous pouvez le sentir. Cela en fait aussi une partition très humaine, où les individus sont entendus avec leurs vies différentes, et elle donne aussi de l'espace aux voix des autres nationalités. Pour l'ingénieur du son et le producteur, cet enregistrement est évidemment un véritable cauchemar : rien n'est « normal » dans le placement et il faut veiller à l’énorme gamme de dynamiques, petits solos ou tutti. Et comme ce placement est fixe, il n'est pas possible d'équilibrer les différents groupes. Hans Kipfer, Jens Braun, les productions Take5 et BIS Records ont fait un travail énorme sur cette production.

 Votre prochain enregistrement sera consacré, entre autres, à des œuvres de Lars Peter Hagen, des compositions très éloignées du monde de Berio. Pouvez-vous nous parler de ce compositeur ?

 Ce nouvel enregistrement sortira en août prochain, nous l'avions heureusement enregistré avant la crise du Coronavirus. Il propose des œuvres des compositeurs norvégiens Arne Nordheim, Nils Henrik Asheim et Lars Petter Hagen. Hagen développe souvent dans ses œuvres une pensée conceptuelle forte, et il a une manière très caractéristique, très personnelle, de mêler présence et parfums du passé -souvent de la musique romantique- à des éléments clairement contemporains, ce qui confère à la musique une sorte d'intemporalité. 

A écouter :

Coro de Berio

Crédits photographiques : Kristin Saastad

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

 

 

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