Un interprète dans la lignée de la grande école française de piano

par

0126_JOKERBela BARTOK (1881-1945)
Suite de danses-Quinze chants paysans hongrois (extraits)-Sonate pour piano-Six danses populaires roumaines-Quatorze bagatelles
Alain PLANES (piano)
2014-DDD-78'59-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Harmonia Mundi HMC 902163
On peut affirmer sans risque d'erreur que Alain Planès s'inscrit dans la lignée de la grande tradition des pianistes français (ou de culture française), celle qui passe par Camille Saint-Saëns, Raoul Pugno, Edouard Risler, Alfred Cortot, Marguerite Long, Magda Tagliaferro, Marcelle Meyer, Jeanne-Marie Darré, Yves Nat, Samson François, Yvonne Lefébure, Aldo Ciccolini, Catherine Collard, Anne Queffélec, pour n'en citer que quelques-uns. Son nom est gage de sérieux et de qualité: pas un de ses disques, par exemple, qui puisse décevoir, pour autant qu'on n'attende pas d'effets de manche, de vain éclat. C'est pourquoi sa vaste anthologie d'oeuvres de Schubert, passionnante mais très sobre, souvent sévère, presque «monastique», où la simplicité, cette quadrature du cercle quasi inaccessible, règne en maître, pourra déconcerter l'auditeur qui se tournera alors vers Kempff, Brendel, Zacharias, Endres, Haebler ou, sur instruments anciens, Badura-Skoda ou Bilson, plus directement accessibles. Un pianiste exigeant donc, tant pour celui qui l'écoute que pour lui-même. Lui qui a accompagné le regretté Janos Starker tant dans Beethoven que Prokofiev, a abordé tous les répertoires avec la même rigueur et la même réussite. On se souviendra notamment de ses Chabrier impeccables, de ses Debussy (une intégrale) toujours passionnants, de sonates de Haydn épurées, de fascinants Janacek. Le programme Bartok qu'il nous propose aujourd'hui ne nous déçoit pas. En 1923, l'Etat hongrois passe commande d'oeuvres aux trois plus grands compositeurs nationaux pour fêter les 50 ans de la réunion des villes de Buda, de Pest et de Obuda pour former Budapest. Kodaly écrit son fameux Psalmus Hungaricus, Dohnanyi une ouverture solennelle. Bartok, lui, propose cette fantastique Suite de Danses pour orchestre, qui reste une de ses pages les plus appréciées. La version pour piano qu'il rédige deux ans plus tard, elle, est beaucoup moins connue. Même si Sebök, Sandor, Kocsis ou Gabos en ont donné des versions magnifiques, avec l'avantage de parler leur propre idiome, Planès ne leur cède rien en excellence. Même si l'on sent que cette musique lui est moins consubstantielle, que l'on entend parfois davantage les sonorités de Ravel que celles de Bartok, sa probité et son intelligence sont une contrepartie des plus satisfaisantes. Son autorité s'affirme plus encore dans les quatre lamentations extraites des Quinze chants paysans hongrois, où son piano, austère ou «brut de décoffrage» à dessein, reproduit fidèlement le caractère faussement fruste de certaines pages. Le caractère ostinato du premier mouvement de la sonate est très bien rendu, tout autant que l'air raréfié du deuxième ou que l'exubérance débridée du dernier. Les célébrissimes Danses populaires roumaines sont simplement parfaites, avec une clarté et une élégance dignes de Ciccolini. Surtout, elles sont interprétées comme le véritable chef-d'oeuvre qu'elles sont et non comme un bis gratifiant pour le pianiste. Enfin, les quatorze Bagatelles, véritable révolution dans l'écriture musicale à l'époque de leur création en 1908, ce «quelque chose de vraiment nouveau» comme l'avait écrit Busoni, ont pourtant un tribut à payer à Debussy, ce que Planès souligne à merveille. Une nouvelle fois, des doigtés soignés et une palette sonore très riche font mouche à tout instant et contribuent à faire de ce disque une référence majeure dans la discographie récente du compositeur du Château de Barbe-Bleue.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

 

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