Dutilleux aurait eu cent ans
Henri DUTILLEUX
(1916-2013)
Le Loup–Trois Sonnets de Jean Cassou–La Fille du diable–Quatre mélodies–Trois Tableaux symphoniques
Vincent LE TEXIER (baryton), Orchestre national des Pays de la Loire, dir. : Pascal ROPHÉ
DDD–2015–74’ 20’’–Textes de présentation en anglais, allemand et français–BIS 1651
Henri DUTILLEUX
Trois Strophes sur le nom de Sacher–Tout un monde lointain
Claude DEBUSSY
(1862-1918)
Sonate pour violoncelle et piano
Emmanuelle BERTRAND (violoncelle), Pascal AMOYAL (piano), Luzerner Sinfonieorchester, dir. : James GAFFIGAN
DDD–2015–47’ 42’’–Textes de présentation en français, anglais et allemand–Harmonia Mundi 902209
Il y a deux Henri Dutilleux, dont on célèbre en 2016 le centenaire de la naissance à Angers : d’un côté, le compositeur de la Deuxième symphonie (baptisée « Le Double »), des Métaboles pour orchestre, du concerto pour violoncelle Tout un monde lointain ou encore du quatuor à cordes Ainsi la nuit ; de l’autre, l’auteur d’œuvres de circonstances écrites dans les années 1940 et au début des années 1950, comme Le Loup, un ballet destiné à la compagnie Roland Petit, sur un argument de Jean Anouilh et de Jean Neveux, et créé en 1953 au Théâtre de l’Empire à Paris. Sa version intégrale n’avait fait l’objet, à ce jour, que d’un seul enregistrement. Il s’agit de celui de Paul Bonneau à la tête de l’Orchestre du Théâtre des Champs-Élysées, en 1955 – un disque vinyle édité par Ducretet-Thomson et que convoitent de nombreux collectionneurs.
L’enregistrement qu’en donnent aujourd’hui Pascal Rophé et l’Orchestre national des pays de la Loire est en tout point remarquable et restitue à merveille les éclats et les fulgurances de cette œuvre qui, quoiqu’elle s’inscrive encore dans la grande er riche tradition de la musique française du XXe siècle (Maurice Ravel, Florent Schmitt, Albert Roussel), bénéficie d’une superbe orchestration et, durant une demi-heure, déploie des accords vertigineux.
Les quatre autres partitions de ce CD sont, elles aussi, pétries dans une pâte orchestrale des plus chatoyantes, en particulier les Trois Sonnets de Jean Cassou et Quatre mélodies (sur des textes d’Anna de Noailles, Raymond Genty, Edmond Borsent et André Bellessort), que le baryton Vincent Le Texier, fin connaisseur de la mélodie française (de Marin Marais à nos jours), interprète fort bien, clairement, et sans forcer la voix (même si elle semble par moments un peu en retrait dans les Trois Sonnets de Jean Cassou). Un formidable CD.
Tout un monde lointain (1970) et Trois Strophes sur le nom de Sacher (1978) appartiennent d’ores et déjà au répertoire du violoncelle et leurs enregistrements discographiques sont nombreux. Si Mstislav Rostropovitch reste la référence majeure pour le premier de ces deux opus, on a du mal à départager les interprètes du second et établir un classement indiscutable. Peut-être le Suédois Mats Rondin et le Lituanien David Geringas viendraient-ils en tête du palmarès… La Française Emmanuelle Bertrand (née en 1973) ne pâlit nullement à leurs côtés et propose même un Tout un monde lointain à la fois sobre et raffiné, sensible et émouvant, d’une très haute tenue musicale. Grâce à elle, on s’aperçoit derechef qu’Henri Dutilleux a bâti à partir du milieu des années 1950 une œuvre magnifique possédant son propre langage, en dehors de toute dogmatisme, loin des querelles souvent stériles qui ont agité le landerneau. Il est en tout cas, avec Olivier Messiaen, le plus important compositeur français de la seconde moitié du XXe siècle et, à coup sûr, celui qui a exploré le plus profondément, pour paraphraser le sous-titre de ses passionnants entretiens avec Claude Glayman en 1993, le « mystère » et la « mémoire des sons ».
Jean-Baptiste Baronian
Son 9 – Livret 7 – Répertoire 10 – Interprétation 9