Une Lucia imparfaite

par

Gaetano DONIZETTI (1797 - 1848)
Lucia di Lammermoor
D. Damrau (Lucia), J. Calleja (Edgardo), L. Tézier (Enrico), N. Testé (Raimondo), D. Lee (Arturo), M. McLaughlin (Alisa), A. Lepri Meyer (Normanno), Münchener Opernchor, Münchener Opernorchester, dir.: Jesùs LOPEZ-COBOS.
2015-live-DDD-65' 23'' et 71' 34''-Textes de présentation en anglais, français et allemand-chanté en italien-Warner Classics Erato 0825646219018

Sentiments mitigés à l'écoute de cette nouvelle version du chef-d'oeuvre de Donizetti, tant de fois enregistré. Rien à dire des choeurs, vaillamment préparés par Andreas Herrmann, ni de la direction de Lopez-Cobos, tragique, exaltée, souvent brillante et toujours en situation (introduction de l'acte II, sextuor, orage), hormis certains tempi un peu alanguis (scène de la folie, dernier tableau). Où le bât blesse, ce serait plutôt du côté des solistes, une faute impardonnable pour un tel parangon du bel canto romantique. Non qu’ils chantent mal, au contraire, ils sont excellents mais... pas tout le temps. En fait, le problème de cette version, c'est qu'elle est terriblement inégale. Diana Damrau est sans conteste l'une des grandes voix de notre temps dans ce répertoire, comme Joyce DiDonato, Anna Netrebko ou Patrizia Ciofi. Dès Regnava nel silenzio, sa voix, plutôt sombre, sonne trop fort, à la limite de la brutalité parfois, et pas trop respectueuse de la ligne mélodique. Par contre, elle est magnifique dans le duo de la fontaine qui suit immédiatement. Si Se tradirmi tu potrai relève d'un beau sentiment, sa partie dans le fameux sextuor est à la limite du cri. Quant à la célèbre scène de la folie, Damrau s'y révèle aussi changeante : récitatifs tendus et dramatiques mais alternance piano-forte plutôt agaçante. La cadence (avec harmonica de verre et non avec flûte) est bien chantée mais trop lente et sans vision terrifiante, tout comme la cabalette finale. Une interprétation certes, une incarnation en aucune manière : les défauts soulignés handicapent par trop l'approche dramatique. L'Edgardo ensoleillé de Joseph Calleja a plus de finesse. Si le ténor maltais a sans aucun doute beaucoup écouté Pavarotti, il chante sa partition avec élégance et même vaillance (finale de l'acte II, duo avec Enrico au III, souvent coupé). Mais le dernier tableau, Tombe degli avi miei, un des sommets de l'opéra, très joliment détaillé, manque absolument du sentiment tragique requis et tombe à plat. Rien à redire par contre en ce qui concerne l'Enrico de Ludovic Tézier qui semble encore plus à l'aise en italien qu'en français (il chantait la même partie dans la version d'Evelino Pido avec Natalie Dessay) : beau legato, pas d'éclats inutiles, cabalettes sobres et intenses. Le legato fait aussi la force de Nicolas Testé : grâce à lui, le rôle ingrat de Raimondo prend fière allure (duo Al ben de' tuoi qual vittima). Bons comprimari, en particulier le Normanno d'Andrew Lepri Meyer. A l'issue de l'écoute attentive de cette nouvelle intégrale, on ne peut s'empêcher de ressentir une impression d'inutilité. Voici une version conventionnelle, à la limite du concert par manque de théâtralité (un comble pour un "live") et souffrant de trop d'inégalités pour donner quelque vraisemblance à une intrigue dramatique à l'extrême. Revenons à Callas (Karajan 1955), Sutherland-Bonynge, ou Caballé (celle-ci avec Lopez-Cobos, déja).
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 8 

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