L'autre Barbier !

par

Freiburger Barockorchester © Marco Borggreve

Il Barbiere di Siviglia de Paisiello
Le Klarafestival organise chaque année une série de manifestations musicales importantes diffusées par Klara, la radio classique flamande. En 2015, nous aurons ainsi droit au Roméo et Juliette de Berlioz, à la Turangalila symphonie de Messiaen, ou au Vin herbé de Frank Martin. Le festival était inauguré par une version concertante de ce Barbiere di Siviglia de Paisiello. Créé en 1782 à Saint-Pétersbourg (Paisiello était au service de Catherine II), son opéra remporta un succès foudroyant que même Rossini ne put battre en brèche avec son opéra, du moins... en 1816. Ironie du sort, c'est cette année-là que mourut Paisiello : l'opéra de Rossini entame alors la carrière que nous connaissons, reléguant son prédécesseur dans l'aimable tiroir du passé. Très fidèle à Beaumarchais, le livret est familier et tient toujours la route : les amours contrariées puis victorieuses des jeunes gens ne sont-ils pas sentiments éternels ? A l'instar de Die Entführung aus dem Serail de Mozart, qu'il avait donné en septembre 2014 au même Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, René Jacobs proposait une "presque mise en scène" : les solistes, costumés et chantant sans partition, évoluent devant, derrière ou autour de l'orchestre, créant l'illusion du théâtre. La salle archi-comble ne s'y est pas trompée et a réservé une ovation triomphale aux artistes, en pleine forme dès la pétillante ouverture. Les nombreux effets comiques portent toujours autant. Ainsi la scène entre Bartolo, rôle principal de l'opéra (un prodigieux Pietro Spagnoli) et ses deux domestiques, l'Eveillé qui baille (Christoph Seidl) et le Jeunot qui éternue (Erik Arman), ou l'air de la Calomnie de Don Basilio (un Fulvio Bettini cauteleux et corrompu à souhait), ont gardé tout leur potentiel humoristique. Le sommet de drôlerie, on le découvre dans la leçon de musique au troisième acte. Après avoir englouti force rasades de cordial, Bartolo s'endort dans un fauteuil (seul accessoire présent) et Almaviva (le très lyrique Topi Lehtipuu) en profite pour joyeusement peloter sa plus que consentante Rosina (Mari Eriksmoen, piquante), sous le pavillon goguenard du clarinettiste qui s'était approché pour mieux voir... L'hilarité du public est à son comble. Se réveillant brusquement, Bartolo, qui ne se doute de rien, entonne une chanson espagnole de sa jeunesse, avec accompagnement de castagnettes. L'amusement se poursuit de plus belle ! Dans l'opéra de Paisiello, le rôle de Figaro est beaucoup moins important que dans celui de Rossini, mais Andrè Schuen en tire le maximum grâce à son évident don d'acteur (le récit de ses voyages en Espagne vaut son pesant d'or). Le Freiburger Barockorchester (formation Mozart, bois par deux) obéit au doigt et à l'oeil de Jacobs et semble tout autant s'amuser que les spectateurs. Et quel bel orage au début du dernier acte ! Le continuo était assuré par une guitare, un clavecin et un violoncelle tout sourires. Une soirée merveilleusement musicale, haletante, parfois tendre mais surtout drôle, un pur moment de bonheur. Et, aux ultimes mesures, le public aura reconnu une toute petit allusion à l'ouverture des Noces de Figaro de Mozart : voilà Rosina devenue comtesse...
Bruno Peeters
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, le 6 mars 2015

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