Une mise en scène absconse pour ‘Luisa Miller’

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Une gigantesque plaque de marbre, avec l’effigie en albâtre d’une Marie-Louise assise avec deux ou trois personnes de sa suite face à l’âtre d’une cheminée surmontée du buste de Giuseppe Verdi, pourrait figurer dans un cimetière monumental, tel qu’on le trouve à Milan. Durant l’ouverture, le dit cénotaphe est glissé par un treuil jusque dans les cintres et laisse apparaître, au sein d’une couronne de fleurs, le cadavre de Luisa que révèrent les choristes masculins en jaquette et haut de forme et leurs compagnes en tenues de deuil. Au premier tableau, Luisa s’éveille, se confrontant d’abord à son père, militaire qui a perdu l’usage d’une jambe, puis aux gens de la cour, le Comte Walter, son fils Rodolfo et l’intendant Wurm, arborant des tenues de noble classe. Lors du dénouement, le somptueux monument redescend, regagnant sa place initiale, devant laquelle l’héroïne rend le dernier soupir, sans avoir pu accéder au rang que lui aurait concédé une union avec le jeune héritier. Que l’on m’explique le rapport que cette mise en scène pourrait avoir avec le village tyrolien imaginé par Schiller et la pauvre fille victime des machinations ourdies par le vieux Walter et son serviteur ! Et pour une prochaine mise en scène, l’on suggérera à Giancarlo Del Monaco de se commettre de quelques lignes dans le programme afin d’éclairer notre obscurantisme au premier degré !
Sur scène, Lana Kos remplace Alexia Voulgaridou malade dans le rôle-titre : une fois passée la première scène avec ses redoutables ‘picchettati’ sur « Lo vidi, e ‘l primo palpito », la voix révèle un grain corsé devenant strident sous les tensions dramatiques ; mais son jeu profondément ressenti atténue l’impression désagréable que produit le son. Face à un Orchestre de chambre de Lausanne vrombissant sous la baguette de Roberto Rizzi Brignoli alors que la salle a des dimensions réduites, le baryton Luca Salsi appuie le trait, quitte à en perdre l’intonation ; mais son Miller réussit à émouvoir. Daniel Golossov qui a laissé un souvenir mitigé avec son Nilakantha de début de saison, trouve un personnage à sa mesure avec le sinistre Wurm, tandis que Giovanni Furlanetto prête au Comte Walter une dimension machiavélique. Marie Karall donne consistance au personnage sacrifié de la duchesse Federica, qualité que l’on attribuera aussi à la Laura de Céline Mellon. Et, finalement, le chanteur le plus convaincant de la distribution est le ténor albanais Giuseppe Gipali qui a l’exacte couleur d’un ‘lirico spinto’ annonçant Manrico ou Riccardo du ‘Bal Masqué’.
Paul-André Demierre
Opéra de Lausanne, les 21 et 26 mars 2014

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