Une mise en scène fascinante pour Siegfried à Genève

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Depuis mars 2013, le Grand-Théâtre de Genève voit une ‘Tétralogie’, mise en scène par Dieter Dorn, prendre forme peu à peu. Dans des décors simplistes et des costumes prosaïques imaginés par Jürgen Rose, les deux premiers volets prenaient le parti du dépouillement total, d’où émergeait un monde étrange où le divin pactisait avec les créatures de la forêt sauvage. Au lever de rideau de ce ’Siegfried’, les tentacules d’une gigantesque pieuvre, dont les pattes fourmillent de mystérieux figurants, semblent vouloir saisir la forge de Mime et le mystérieux Wanderer qui s’y faufile. L’hydre se déroulera sous les coups de Siegfried, laissant apparaître une tête défaite puis le corps du géant Fafner, transpercé de l’épée meurtrière. Le dernier acte n’est plus qu’un plateau désert, lacéré par les vents ; puis, derrière un rideau de flammes, surgira un éperon rocheux où se dessine un gigantesque catafalque couvert de voiles. Sous la direction d’Ingo Metzmacher, l’Orchestre de la Suisse Romande révèle un phrasé et une palette de coloris subtils qui suscitent l’intérêt de bout en bout de ce long ouvrage. Dans le rôle-titre, le jeune ténor John Daszak domine sa nervosité après ses premières phrases et libère un aigu éclatant jusqu’à l’épuisant finale ; sous son ingénuité souvent touchante lui manque encore un rayonnement poétique que lui apportera la maturation du personnage. Succédant à un Wotan épuisé par le dernier tableau de ‘La Walkyrie’, Tomas Tomasson a l’envergure d’un Wanderer impressionnant, même si pointe une tendance à forcer ses moyens au début de l’acte III. Andreas Conrad a le timbre de crécelle d’un Mime, maniant la ruse avec le dessein de parvenir à ses fins, à l’encontre de l’Alberich menaçant de John Lundgren. Petra Lang joue de la sûreté du registre aigu, quitte à malmener sa ligne de chant, pour dessiner une Brünnhilde en proie aux premiers émois de la passion, quand Maria Radner a les graves de bronze d’une Erda envoûtante. Et le Fafner effrayant de Steven Humes ne pourrait faire qu’une bouchée des moyens aigrelets de l’Oiseau de la Forêt.
Paul-André Demierre
Genève, Grand-Théâtre, 30 janvier 2014

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